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COURS

D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE

A L'USAGE DES GRANDS SÉMINAIRES

Cours a'iusioiM.

Approbation de Monseigneur Bruillard , Evêque de Grenoble.

Nous avons lu le Cours d'Histoire ecclésiastique à l'usage des Séminaires Nous en avons été forl satisfait. Discuté quant au fond et quant à la forme dans la réunion des directeurs de notre grand Séminaire, et composé par l'un d'eux, M. l'abbé Rivaux, professeur d'histoire ecclésiastique, il nous parait propre à faire aimer l'Eglise, dont il montre la propagation miracu- leuse, les combats incessants, les triomphes glorieux, la constitution toute divine , l'enseignement toujours invariable. Cette Histoire comblera un vide que l'on remarquait dans les études d'un grand nombre d'élèves du sanc- tuaire, et mérite d'occuper une place dans la bibliothèque des ministres de» saints autels. Elle sera lue avec avantage dans les établissements publics d'éducation, dans les communautés religieuses et dans les petits séminaires. Une mère chrétienne la mettra avec empressement entre les mains de sa fille, et le précepteur la fera lire à son élève. Le simple fidèle y découvrira le fondement solide de sa foi ; l'incrédule y trouvera la solution à la plupart des difficultés qu'il oppose à la religion ; et nos frères séparés y verront dé- truits, un à un, leurs préjugés contre l'Eglise catholique romaine, qu'ils regardent comme ayant cessé depuis longtemps d'être l'Eglise primitive , fondée par Jésus-Christ et établie par les Apôtres.

La confiance que nous avons dans les directeurs de notre grand Sémi- naire , la connaissance que nous avons prise nous-même de cet important ouvrage , et les succès qu'il a déjà obtenus , nous le font recommander avec le plus vif empressement.

Donné à Grenoble , sous notre seing, le sceau de nos armes et le contre- seing du secrétaire de notre Evêché, le 7 avril 1853.

f PHILIBERT, Evoque de Grenoble. Par mandement : ÀCVBEGNB, chanoine honoraire, Secrétaire.

Approbation de Monseigneur Ginoulhiac, Evêque de Grenoble.

M. l'abbé Rivaux, directeur de notre grand Séminaire, devant donner une troisième édition de son Cours d'Histoire ecclésiastique à l'usage des Séminaires, nous a soumis les additions, citations et développements dont il a enrichi son important ouvrage. Sur le rapport favorable qui nous en a été fait, nous joignons très- volontiers notre approbation à celle de notre vé- nérable prédécesseur, et nous recommandons, comme lui, la nouvelle édi- tion au clergé, aux séminaires, aux communautés religieuses, aux maison» d'éducation, aux familles chrétiennes, etc.

Donné à Grenoble , le 3 février 1859.

f M. ACHILLE, Evêque de Grenoble.

Approbation de Monsieur de Serres , Chanoine , Vicaire Général,

Camérier de Sa Sainteté Pie IX.

Je me plais à rendre un bon témoignage à l'Histoire de M. l'abbé Rivaux.

La doctrine qui en est excellente, et la méthode simple et claire avec la- quelle elle est écrite , ne peuvent que rendre utile et faciliter une étude qui est si essentielle aux Ministres de la parole et si utile à tous ceux qui aiment sincèrement l'Eglise romaine.

Je verrai donc avec plaisir que ce livre soit admis dans les établissements ecclésiastiques, et aussi dans toutes les maisons d'éducation la science de notre sainte Religion est en honneur.

Lyon, 6 octobre 1803.

DJB SERRES , chanoine, vicaire général, Camérier de Sa Sainteté Pie IX.

COURS

D'HISTOIRE

ECCLÉSIASTIQUE

A L'USAGE DES GRANDS SÉMINAIRES Par M. l'abbé RIVAUX

Directeur du Grand Séminaire de Grsnobi*

SEPTIÈME ÉDITION

rue. corrigée, considérablement augmentée et continuée jusqu'à nos jour»

TOME PREMIER

Ancienne Maison BRIDAY

DELHOMME & BRIGUET, Éditeurs

LYON PARIS

3, avenue de l'Archevêché. 13, rue de l'Abbaye.

1883

-Tous droit» réaervéc

Tous les exemplaires non revêtus de ma griffe seront, réputés contrefaite.

Propriété de l'éditeur.

Tous adroits de traduction réservés.

P»m. - Typ. Collombon et Ôrnle\ rue de l'Abbaye, ».

INTRODUCTION.

La vérité est le don le plus précieux que Dieu ait fait Action do à l'homme. Mais ce riche trésor, l'homme seul est inca- eme^hm pable de le conserver intact, et de le défendre contre les Sfcime! nombreux ennemis qui l'attaquent sans cesse. Aussi la d0|"^^-lara divine Providence a-t-elle toujours veillé à sa garde d'une Moii0- manière spéciale.

L'époque des patriarches est incontestablement celle la vérité a courir le moins de danger sur la terre. Entre Adam et Moïse il n'y eut que cinq générations : Adam vécut deux cents ans avec Mathusalem; Mat. lem, six cents ans avec Noé et quatre-vingt-dix-huit a* .0 Sem ; Sem conversa longtemps avec Abraham et Mi c; Isaac fut l'aïeul de Lévi, et Lévi le fut de Moïse, (p:i vécut plusieurs années avec lui (1). Or, ne semble-i il pas que la tradition des vérités saintes, partant d'Adaiu qui l'avait reçue de Dieu même, pouvait aisément par-

(4) Mém. de TAcadèm. des inscript., tom. LXI. Essai sur Vin- dijf., tom. IV. Rohrbacher, Hist. de l'Eglise, tom. I, p. 85, 4e édit.

O INTRODUCTION.

venir intacte et pure jusqu'à Moïse , portée entre les mains de cinq vénérables vieillards? Cette transmission semblait d'autant plus facile et plus sûre, que, seuls et paisibles possesseurs de toute la terre, n'ayant pour société que leur famille , et occupés de travaux simples et innocents , les patriarches étaient infiniment moins exposés à l'in- fluence des passions humaines, dont le souffle violent ravage aujourd'hui le monde, et s'acharne à dissiper, à confondre et à faire disparaître les vérités morales et sur- naturelles qui leur sont si opposées. On sait aussi qu'a- vant le déluge les hommes parlaient tous une seule et même langue , et que la révélation primitive était presque l'unique histoire qu'ils eussent à apprendre eux-mêmes et à enseigner à leurs enfants.

Et cependant, pour la conservation de la vérité, Dieu ne s'en rapporta pas complètement au souvenir, à la droiture et aux lumières des patriarches, ni à l'évidence des principes d'ailleurs peu nombreux de la loi naturelle. Il descendit, pour ainsi dire, lui-même au milieu de ces saints personnages. C'est lui, d'abord, qui confia le précieux dépôt à Adam, en conversant avec lui. Il parla ensuite plusieurs fois à Noé, et il fut tellement familier avec Abraham, que ce patriarche, dans ses demandes, le pressait en quelque sorte, dit saint Chrysostome, comme on presse un ami (i). Pendant qu'il les conduisait ainsi par la main, et les retenait, eux et leurs familles, dans la saine interprétation et la fidèle observance de sa loi, il frappait de temps en temps de grands coups, afin d'opérer le même effet au milieu du reste des humains.

(4) Les traditions orientales et l'Apôtre saint Jacques désignent Abraham par ce beau titre, l'Ami de Dieu : Abraham amicus Dei appellatua eut. S. Jàcq., 2, 23; Rohrbacher. I, 127.)

INTRODUCTION.

L'anathème de Caïn, sa vie errante et vagabonde, le déluge universel, la confusion des langues à la tour de Babel, et la destruction de Sodome et de Gomorrhe, etc., furent les foudres dont l'autorité infaillible du Tout-Puis- sant frappa les contempteurs de ses divins préceptes.

Plus tard , quand les hommes se furent multipliés , que les passions commencèrent à dominer sur la terre, et que , selon la parole de l'Ecriture , « toute chair eut corrompu sa voie, » on vit Dieu se hâter, pour ainsi dire, de mettre la vérité à l'abri de la tempête. C'est alors qu'il appelle Abraham, le sépare des autres hommes, et le fait père d'un peuple qu'il sépare aussi de tous les autres peuples , et qu'il destine à garder fidèlement la foi antique des pa- triarches. Dans ce dessein, il lui prescrit des usages par- ticuliers, des observances spéciales, et lui donne un code complet et détaillé , dont le but était de le préserver de tout contact dangereux avec les nations qui s'écartaient des vérités révélées. Il ne se borna pas là. Il prit lui- même la- direction et le commandement de la nation. Moïse, Josué et les Juges, pendant plus de trois cents ans, ne furent que ses lieutenants; et le tabernacle était comme la tente ou le palais, ces chefs subalternes venaient prendre et recevoir les ordres du premier et vé- ritable souverain. Ce gouvernement purement théocra- tique, d'une autorité évidemment infaillible, et dont la plupart des actes furent de grands miracles, dura près de quatre cents ans.

A cette époque, le peuple de Dieu demanda un roi comme les autres nations. Il l'obtint, et ce nouveau gou- vernement subsista jusqu'au temps de Jésus-Christ. Mais, quoique le Seigneur eût en quelque sorte abdiqué l'au- torité temporelle, son œil vigilant n'abandonna pas le dépôt précieux de la vérité, et il ne le laissa jamais à la

Action de Dieu pour la conservation de la vérité leligieuse , depuis Moïse

jusqu'à Jésus-Christ.

8 INTRODUCTION.

merci du peuple juif. Car, il garda encore la haute main sur les chefs de la nation ; les rois ne furent , pour ainsi dire, que ses vassaux; il les nommait à son gré , et, quand ils devenaient prévaricateurs de sa loi, il les rejetait comme Saûl , ou bien il les châtiait , eux et leur peuple , par des calamités qui les ramenaient dans le chemin de la vérité. Un tribunal spécial avait, en outre, été institué pour veiller à la conservation du dépôt révélé. De plus , ce fut à cette époque précisément que commencèrent à paraître les prophètes. « Grands ou petits, dit Bossuet, il y en eut une suite non interrompue , qui , loin d'adhérer aux erreurs du peuple quand il s'égarait , ou de les dissi- muler, s'élevait avec force contre lui. Cette succession était si continuelle, que le Saint-Esprit ne craint pas de dire que Dieu se levait la nuit et dès le matin pour avertir son peuple par la bouche de ses prophètes (1); expression la plus puissante qui se puisse imaginer, pour faire voir que la vraie foi n'a jamais été un seul moment sans publi- cation, ni le peuple, qui en était le conservateur, sans divin avertissement. Ces prophètes faisaient partie du peuple de Dieu ; ils confirmaient leur mission par des mi- racles visibles, et retenaient dans le devoir et la vérité une partie considérable des prêtres et du peuple môme. Il faut remarquer que Dieu n'a jamais fait plus éclater le ministère des prophètes, que lorsque l'impiété semblait avoir pris le dessus ; en sorte que , dans le temps le moyen ordinaire d'instruire le peuple, la Synagogue, était , non pas détruit , mais obscurci , Dieu préparait les moyens extraordinaires et miraculeux.

(1) Mittebat autem Deuspatrum suontm ad illos, per manum nun- tiontm suontm, de noctc consio'gens et quotidie commonens. (Paralip., liv. 2, c. 36, v. 45.;

INTRODUCTION. 9

A cela on peut ajouter que le ministère prophétique, avant la captivité, était comme ordinaire au peuple de Dieu, les prophètes faisaient comme un corps toujours subsistant, d'où Dieu tirait continuellement des hommes divins, par la bouche desquels il parlait lui-même haute- ment et publiquement à tout son peuple. Depuis le retour de la captivité jusqu'à Jésus-Christ, il n'y eut pas d'idolâtrie publique et durable. On sait, il est vrai, qu'il y eut une persécution sous Antiochus l'Illustre; mais on sait aussi le zèle de Matathias et le grand nombre de vrais fidèles qui se joignirent à sa maison, et les victoires écla- tantes de Judas Machabée et de ses frères. Sons leur gou- vernement et sous celui de leurs successeurs , la profession de la vraie foi dura jusqu'à Jésus-Christ. A la fin, les pharisiens introduisaient dans la religion et dans le culte beaucoup de superstitions. Comme la corruption allait prévaloir, Jésus-Christ parut au monde. Jusqu'à lui, la religion s'était conservée. Les docteurs de la loi avaient, il est vrai, beaucoup de maximes et de pratiques perni- cieuses , qui gagnaient et s'établissaient peu à peu ; elles devenaient communes, mais elles n'étaient pas encore passées en dogme de la Synagogue (1). C'est pourquoi

(1) Chez toutes les autres nations, au contraire , la loi naturelle et la révélation primitive firent un triste naufrage. La nation juive, dit M. Riambourg, était la seule, sur toute la surface de la terre, qui proclamât nettement l'unité de Dieu, qui refusât à la créature, de quoique ordre qu'elle fût, même aux intelligences supérieures, le droit de partager les honneurs divins; qui eût des idées raisonnables sur la création ; qui comprit la nécessité du culte intérieur; qui ren- dit à la Divinité un culte extérieur irrépréhensible, etc. Toutes les autres nations , même les plus sages , s'étaient écartées de la direc- tion primitive. Dans le fond de leurs traditions, on retrouvait encore, il est vrai , les traces des vérités révélées, mais horriblement défigu- rées. « Tout y était Dieu, dit Bossuet, excepté Dieu lui-même. »

10 INTRODUCTION.

Jésus-Christ disait encore : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chawe de Moïse; faites ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas selon leurs œuvres. » Il ne cessa d'honorer le ministère des prêtres; il leur renvoya les lépreux, selon les termes de la loi; il fréquenta le temple, et, en reprenant les abus, il demeura toujours attaché à la communion du peuple de Dieu et à l'ordre du ministère public. Enfin, on en vint au point de la chute et de la réprobation de l'ancien peuple, marqué par les Ecri- tures et les prophètes, lorsque la Synagogue condamna Jésus-Christ et sa doctrine. Mais alors Jésus-Christ avait paru, et il avait commencé, dans la Synagogue, à assem- bler son Eglise, qui devait subsister éternellement (1). » Jésus-christ. « Autrefois , dit le grand Apôtre , Dieu a parlé en dif-

Sa mission.

férentes manières par la bouche de ses prophètes ; main- tenant, en ces derniers temps, il nous a parlé par son propre Fils. » « Le Verbe éternel s'est fait chair, dit saint Jean; il a habité parmi nous et nous l'avons vu; il était plein de grâce et de vérité (2). » Il partagea, en venant au monde , la demeure des animaux , « parce qu'il n'y avait point de place, pour ses parents, dans les hô- telleries. » Une crèche, un peu de paille, quelques lan-

« Tout ce que nous refoulons dans nos bagnes , elles le mettaient sur leurs autels, ajoute M. Nicolas, Dieu seul n'y était pas Dieu. » L'exception unique et remarquable que présente ici la nation juhc, fait bien ressortir la nécessité de l'intervention divine pour la conser- vation de la vérité sur la terre. (Rollin, Traité des études. Pluche, Histoire du ciel. Riambourg , Rat . et trad.) (4) Bossuet, Conf. avec Claude.

Midtifariam, midtisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis, novissime diebus istix locutus est nobis inFilio. {Epist. ad Hebr., c. 4, 4.) Et Verbum caro factura est, et habitavit in nobis,

et vidimus gloriam ejus plénum gratis et veritatis. (Saint Jean,

B»., c.4,w44i)

INTRODUCTION. 1 1

ges, voilà les richesses du Libérateur des hommes. En- fermé, pendant trente ans, dans la boutique d'un pauvre artisan, il enseigna aux hommes, par son exemple, l'hu- milité, la soumission, l'obéissance, le travail, la vie ca- chée dans le devoir, l'oubli de soi et le mépris des choses d'ici-bas. Enseignement d'une sagesse sublime! C'était l'orgueil et l'ambition qui avaient rendu l'homme criminel et malheureux; c'est dans l'humilité et l'abnégation que devait se trouver le remède à ses maux. « La perfection de l'humilité, dit un auteur, expia l'excès de l'orgueil. »

Jésus-Christ prêcha ensuite son saint Evangile, et, pen- dant trois ans, il révéla à la terre les secrets qu'il voyait de toute éternité dans le sein de son Père. 11 parcourut la Judée et la remplit de ses bienfaits. Secourable aux malades, miséricordieux envers les pécheurs, dont il se montra le vrai médecin , il fit ressentir aux hommes une autorité et une douceur qui n'avaient jamais paru qu'en sa personne. Les pauvres furent ses amis, mais il ne rebuta point le riche. Il annonça de hauts mystères, mais il les confirma par de grands miracles. Il commanda de grandes vertus , mais il donnait en même temps de grandes lumières, de grands exemples et de grandes grâces. Tout se soutient en sa personne : sa vie , sa doctrine , ses mi- racles ; la même vérité y brilla partout , tout concourut à y faire voir le Maître du genre humain et le modèle de la perfection, et Lui seul, au milieu des hommes et en face de ses ennemis, a pu dire : « Qui de vous me re- prendra de péché ? » et encore : « Je suis la lumière du monde (1). »

Son dénuement augmente à mesure que ses fonctions s'élèvent : « Les renards ont leur tanière et les oiseaux

(I) Bossoet , Eist, univ.

12 INTRODUCTION

du ciel leur nid ; mais le Fils de l'homme n'a pas reposer sa tête. » Pauvre jusqu'à la fin, il reçoit tout de la charité : et le pain qui le nourrit , et les vêtements qui le couvrent, et le linceul dans lequel on l'ensevelit. 11 souffrit les plus grandes douleurs sans faiblesse et sans ostentation, et il mourut en priant pour ses ennemis et en bénissant ses bourreaux. En un mot, sa mort fut comme sa vie , miraculeuse et toute divine. Ses ennemis eux-mêmes en furent frappés : « Il était vraiment Fils de Dieu, disaient-ils autour de sa croix : Verè Filins Dei eratiste (1), » et les philosophes les plus impies n'ont pu en disconvenir. « Si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, dit J.-J. Rousseau, la vie et la mort de Jésus- Christ sont d'un Dieu. » En mourant, il mit la nature en deuil. Trois jours après sa mort, il ressuscita par sa toute-puissance; et quarante jours après sa résurrec- tion, il monta au ciel il intercède pour nous. ii'Egiise Cependant, gardé jusque-là par Dieu lui-même, et

SmtTon. maintenant enrichi, développé par Jésus-Christ et arrosé de son sang divin , le précieux dépôt de la vérité devait , moins que jamais, être abandonné à la merci des hommes et aux ravages des passions de jour en jour plus formi- dables. — Dieu, les prophètes et Jésus-Christ avaient toujours parlé à l'homme un langage extérieur et sen- sible, parce que sa nature et ses besoins réclament impé- rieusement ce mode d'enseignement. Après la mort du Sauveur, sa doctrine devait donc continuer de prendre une forme visible; il fallait qu'elle fût encore confiée à des envoyés parlant et enseignant, comme Lui, d'une manière sensible. Aussi, comme nous l'avons remarqué avec Bossuet, Jésus-Christ, au sein même de la Syna-

(4) S. Matth., c. 27, v. 54.

INTRODUCTION. 13

gogue, avaii-il eu soin de fonder son Eglise , par la voca- tion de douze pêcheurs. Il avait mis à leur tête Simon Pierre, avec une prérogative si manifeste, que les Evan- gélistes qui, dans le dénombrement qu'ils font des Apôtres, ne gardent aucun ordre certain , s'accordent tous à nom- mer Pierre avant les autres, comme le premier. Puis, avant de monter au ciel, Jésus-Christ assembla ce sacré collège qui devait le remplacer ici-bas, et lui adressa les paroles suivantes : « Comme mon Père m'a envoyé, Moi je vous envoie : toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre; allez, marchez à la conquête du monde; prêchez l'Evangile à toute créature; enseignez toutes les nations et baptisez-les au nom du Père , et du Fils, et du Saint-Esprit, et voici que Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles. » Digne parole de l'Epoux céleste, dit Bossuet, qui donne sa puissance et qui engage pour jamais sa foi à sa sainte Eglise.

Il suit de là, que l'Eglise n'est, pour ainsi dire, que Jésus-Christ parlant et enseignant continuellement sous une forme humaine. « C'est , dit Mœlher, comme l'incar- nation permanente du Fils de Dieu. » Comme da^s Jésus-Christ, la divinité et l'humanité , bien que distinctes entre elles, n'en étaient pas moins étroitement unies; de même l'Eglise, sa manifestation permanente, a aussi un côté divin et un côté humain. Humaine par les hommes qui la composent, et divine par l'Esprit de Dieu qui l'a- nime et la régit, l'Eglise est maintenant chargée du dépôt de la vérité jusqu'à la fin du monde (1). Comme son

1 En dehors de l'Eglise catholique, la vérité évangélique a eu le sort qu'avait subi la révélation primitive en dehors du peuple juif. Elle a été morcelée, confondue et horriblement déûgurée dans tous

ii INTRODUCTION.

divin Epoux, elle doit éclairer, enseigner, consoler et diriger l'homme dans le chemin de la vertu. Fidèle à sa mission, elle éclaire, console, enseigne le monde, passe en faisant le bien, à l'exemple de Jésus-Christ; et, depuis dix-huit siècles, elle retourne avec amour le lit de douleur gémit l'humanité. Mais ses bienfaits sont méconnus , et le monde y a toujours répondu par la plus noire ingratitude. Depuis la Judée jusqu'aux îles Sinnamari et à la terre Annamite; depuis la tombe d'E- tienne jusqu'aux noyades de la Loire et à la cangue du Tonkin et de la Cochinchine, l'Eglise de Jésus-Christ n'a cessé d'être calomniée, attaquée, poursuivie et persé- cutée. Ce dernier trait complète sa ressemblance avec son divin Auteur, de qui il a été dit : « Il est venu au

milieu des siens, et ils l'ont rejeté Celui-ci est un signe

auquel on contredira In propria venit et sui eum

ses points divers. Les milliers d'hérétiques qui ont paru depuis dix- huit siècles , ont été aussi incertains , aussi divisés et opposés les uns aux autres , que le furent entre eux les philosophes païens. Ils ont dit oui et non sur toutes les questions révélées , comme les premiers l'avaient fait sur toutes les questions de la loi naturelle. L'histoire des aberrations et des contradictions de l'hérésie est peut-être même plus longue et plus déplorable que celle de la philosophie. « Toute erreur, » dit Bossuet , est une vérité dont on a abusé. » Or, le dépôt de la vérité ayant été augmenté et complété par Jésus-Christ , il est évident par même que les ravages des nouveaux rationalistes ont sur- passer ceux de leurs prédécesseurs. D'ailleurs, tout le monde sait que les sublimes et profonds mystères de l'Evangile sont moins acces- sibles à la raison humaine que les principes de la loi naturelle. Les passions , toujours ennemies de la vérité , vont aussi en augmentant à mesure que les hommes se multiplient, etc. Tous ces égarements de la raison humaine font comprendre pourquoi Pascal disait : « Se » moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher. » Une autorité divine et. infaillible est donc aujourd'hui plus nécessaire que jamais pour ia conservation du dépôt révélé.

INTRODUCTION. 15

non receperunt Positus est hic in signum cui contra-

dicetur. »

Nous allons, dans ce Cours d'histoire , contempler Butetpiai

de ce

l'Eglise accomplissant à travers les âges la mission que cours Dieu lui a donnée d'enseigner la vérité et de faire le bien. Fille du Ciel , elle a reçu et porte avec elle cinq carac- tères, qui proclament hautement sa céleste origine. Elle est UNE, SAINTE, CATHOLIQUE, APOSTOLIQUE RO- MAINE. L'enfer a fait les plus puissants et les plus con- tinuels efforts pour lui ravir ces signes divins; mais il n'a jamais pu en venir à bout. Après une traversée de plus de dix-huit siècles , la tempête a été continuelle , ils bril- lent sur son front avec autant d'éclat que jamais. Les faits, les monuments, les témoignages écrits et traditionnels, s'accordent pendant dix-huit cents ans à prouver, d'une manière invincible, que l'Eglise a toujours été UNE, SAINTE, CATHOLIQUE, APOSTOLIQUE ROMAINE, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'elle a toujours été divine et la véritable épouse de Jésus-Christ. C'est le beau et consolant spectacle que nous allons suivre et con- templer. — Partant du cénacle, berceau de l'Eglise, et descendant avec elle les siècles un à un, nous suivrons, sans aucun esprit de système, le cours naturel et provi- dentiel des choses et du temps. Pour éclairer, orienter et soulager une si longue marche, tous les principaux événements seront exposés avec leur date à côté du récit. Après chaque siècle , il y aura comme un repos ; et après chaque grande époque, une halte véritable, avec un retour sur l'ensemble des faits étudiés, et les conclu- sions et observations qui découlent de cet ensemble. En outre, chaque événement important, à sa place res- pective, sera accompagné des réflexions ou de la discus- sion qu'il comportera, soit qu'il contienne une preuve en

16 INTRODUCTION.

faveur de l'Eglise, soit qu'on ait voulu le tourner en ob- jection contre elle. En groupant autant que possible les faits , pour ne pas trop les isoler ou les morceler, nous éviterons cependant de trop intervertir l'ordre chronolo- gique. — L'action si admirable et si continuelle de la divine Providence en faveur de l'Eglise sera de notre part l'objet d'une observation attentive.

Toute la durée de l'Eglise, depuis Jésus-Christ jusqu'à nos jours, est divisée en trois grandes périodes bien dis- tinctes, qui représentent les trois principales phases du Christianisme, et dont chacune remplit un volume. La première période finit à la chute de l'empire d'Occident, en 476, et présente le commencement, les combats, les travaux, l'enseignement et toute l'action de l'Eglise au milieu du monde romain. Elle fait ressortir d'une manière sensible la conformité parfaite qui existe entre notre foi et la foi des premiers siècles. La seconde période s'é- tend depuis la chute de l'empire d'Occident, jusqu'à la naissance du Protestantisme, en 1517. On y admire la merveilleuse action de l'Eglise sur les peuples barbares qu'elle convertit, élève, dirige et fait passer graduelle- ment de l'état sauvage à la belle civilisation du siècle de Léon X. La troisième période comprend depuis le Pro- testantisme jusqu'à l'an 1875. Nous y contemplerons l'E- glise luttant contre l'anarchie religieuse et l'anarchie politique, issues des principes de la prétendue Réforme, et conservant la civilisation moderne mise en péril par ce double fléau. Toute époque a ses racines, comme tout homme a ses ancêtres.

Daigne le Seigneur bénir notre œuvre î et puisse-t-elle contribuer à faire mieux connaître et aimer davantage son Eglise , notre Mère à tous ! C'est toute notre ambition. « On cesse d'avoir Dieu pour père, dit saint Cyprien,

INTRODUCTION. 17

dans son Traité de YUnité de l'Eglise , quand on n'a pas l'Eglise pour mère. »

Si on était tenté de se décourager en présence des cruelles épreuves que traverse aujourd'hui l'Eglise, de celles plus cruelles encore qui semblent l'attendre demain , il faut se ressouvenir que c'est le sort constant et comme le pain quotidien de l'Eglise. Epouse du Sauveur, elle doit ja première marcher dans cette voie royale de la sainte ("poix, ouverte par le Fils de Dieu, et que tous les saints ont foulée les uns après les autres. Mère des chrétiens, pour elle comme pour chacun de ses enfants pris indivi- duellement , la passion est le chemin nécessaire de la résurrection. Nonne oportuit Christum pati et ità intrare m gloriam? L'Eglise a été inébranlable à travers dix- neuf siècles d'orages; pourquoi ne le serait-elle pas au milieu des tempêtes contemporaines? Au milieu des grandes épreuves du passé , nos pères ne se sont pas dé- couragés. Au milieu de tant de doutes, ils croyaient; au milieu de tant de désespoirs, ils espéraient; au milieu de tant de haines, ils aimaient. Faisons comme eux et relevons la tête. J'entends des voix ennemies et impa- tientes s'écrier : Ne viendra-t-il donc pas un jour l'on pourra dire enfin : Voilà le dernier Pape! Oui, mais ce jour, vous ne le verrez point; il ne viendra qu'à la fin des temps, quand Jésus-Christ apparaîtra lui-même pour juger les vivants et les morts. Alors , il n'aura plus besoin d'un représentant visible sur la terre ; alors , il aura achevé de souffrir dans la personne de son dernier vicaire, tout ce qui lui restait à souffrir ici-bas. Pour nous, qui ne savons ni le jour ni l'heure; pour nous, qui, dans la poussière du combat, voyons le Christ recommencer, dans son représentant actuel, un nouveau chemin de la croix, suivons-le avec amour et foi, en répétant ce cri d'admi-

Cours d'histoirb. 2

18 INTRODUCTION.

ration douloureuse , par lequel la liturgie grecque inter- rompt plusieurs fois, le vendredi saint, la lecture solen- nelle de la Passion : « Gloire à votre patience , Sei- » gneur (1)! »

(1) La voie douloureuse des Papes. {Monde, 15 ?»^mbre 1860.)

COURS

D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE

A L'USAGE DES SÉMINAIRES.

^eeeeeeeeaeeoooooooi

PREMIÈRE ÉPOQUE.

ÉPOQUE DES PERSÉCUTIONS ET DES MARTYRS.

Depuis la sortie du Cénacle, en 33, jusqu'à la conversion de Constantin, en 312.

PREMIER SIECLE,

Les premiers assauts que 5'Eglise de Jésus-Christ eut à

(<) Essai su/ l'indif., tom. I.

Coup d'œil

soutenir à son entrée dans le monde, furent ceux d'une violence s^éni

sur

aveugle et brutale : Dieu, sans doute, dit un auteur devenu la première malheureusement trop célèbre, l'a ordonnné de la sorte, parce éP0(iue- qu'il savait que le courage et la constance des martyrs étaient plus propres qu'aucun autre spectacle à étonner et à convaincre des hommes dominés par les sens, comme ceux de la vieille société nue le Christianisme avait à régénérer (1).

La Synagogue, d'abord, se jeta sur l'Eglise naissante et voulut l'étouffer dans son berceau. En peu de temps, elle emprisonna son chef, lapida son plus zélé diacre> fit battre de verges les Apôtres et dispersa tout le troupeau.

Après la Synagogue , l'Empire romain se souleva dix fois avec

20

COURS D HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

Election

de B. Matthias

et sortie

du cénacle.

An 33 (3).

fureur contre l'Eglise. On compte, en effet, durant les trois premiers siècles, dix persécutions générales, c'est-à-dire, dix persécutions commandées par les empereurs romains, dont la redoutable puissance s'étendait sur la plus grande partie du monde alors connu. L'Eglise y perdit par le martyre dix ou douze millions de ses enfants (1). De tous les souverains Pontifes qui siégèrent pendant cette période héroïque et trois fois séculaire, il n'y en eut que deux, dit le P. Lacordaire, qui moururent dans leur lit, encore parce que les ans, pour eux, se pressèrent un peu plus que les bourreaux. Les autres périrent tous au milieu des supplices; et, depuis la sortie du Cénacle jusqu'à Constantin le Grand , l'Eglise eut à traverser la mer rouge de soîi propre sang , comme elle le chante elle-même dans son office des martyrs (2). Il entrait dans le plan divin, dit encore le P. Lacordaire, que la puissance de l'Eglise commen- çât par cette longue douleur, et que la première couronne de la papauté fût la couronne du martyre. Qu'elle est glorieuse et belle cette longue traînée de lumière et de sang dont fut marqué chacun des pas de l'Eglise , durant les trois premiers siècles !

Avant de sortir du Cénacle et de commencer le grand et immortel combat qu'ils allaient livrer à l'erreur et aux passions, les Apôtres voulurent remplir le vide que la mort du traître Judas avait fait dans leurs rangs. Institué chef de l'Eglise par

(<) Voyez, sur le nombre des martyrs, dom Ruinart, Actes des mar- tyrs, Prêf. Catéch. Persév., tom. V.

(2) M. Edgard Quinet lui-même n'a pu s'empêcher de vénérer les premiers souverains Pontifes. « Lisez, dit-il, les noms des cinquante premiers papes, c'est-à-dire de ceux qui soutiennent l'édifice : ces fon- dateurs sont tous des saints, des héros du monde moral. » [Du Coth. et de la Révolut. franc.) Soixante-seize papes sont honorés comme saints, savoir : trente-sept comme martyrs, dont trente-trois souffrirent sous les empereurs païens, et quatre furent mis à mort par les héréti- ques, et trente-neuf canonisés avec Je titre de Confesseurs. L'An- nuaire qui se publie chaque année à Rome, sous le titre de Notizie, compte soixante-dix-sept papes saints, plus deux avec le titre de Bien- heureux. [Opusc. Gauthier, Jésuite.)

(3) Les savants Bénédictins, auteurs de Y Art de vérifier les dates, fixent la mort du Sauveur au 3 avril de l'an 33 de notre ère. Cette date a prévalu.

PREMIER SIÈCLE. 51

Jésus-Christ, et commençant dès lors à en remplir les fonctions, Pierre se leva au milieu de l'assemblée, composée d'environ- cent vingt disciples , et les invita à procéder à l'élection. « Pierre, sans aucun doute, dit un des plus célèbres docteurs de l'Orient, saint Chrysostome, Pierre aurait pu, lui seul, faire ce choix, vu que le Seigneur, par ces paroles : Affermis tes frères, avait placé tous les autres sous sa main. Toutefois, par condescendance, il en remit le jugement à la multitude, pour ne pas exciter sa jalousie et afin de lui rendre plus vénérable celui qu'elle aurait choisi (1). Saint Grégoire de Nysse fait la même observation que saint Jean Chrysostome.

L'assemblée présenta deux sujets : Matthias, et Joseph Bar- sabas , surnommé le Juste. Tous deux étaient dignes de l'apos- tolat, si l'apostolat pouvait se mériter; mais, ni les disciples assemblés , ni les anciens Apôtres, ni Pierre lui-même , ne vou- lurent se charger de la décision. On convint, par une inspi- ration particulière , de remettre cette élection au Seigneur, à qui on adressa de concert une fervente prière. La prière finie , on tira au sort; il tomba sur Matthias, qui prit aussitôt place parmi les Apôtres. Ainsi furent remplis les « douze trônes devaient s'asseoir les juges des douze tribus d'Israël. »

Cependant , la retraite des disciples touchait à sa fin. Le vais- seau de l'Eglise, pour nous servir de l'élégante comparaison de saint Chrysostome, était construit et appareillé; il avait son pilote, son gouvernail et ses voiles, avec tous les agrès néces- saires pour faire une heureuse navigation. Une seule chose lui

(1) Ainsi , dès l'origine , le pouvoir suprême de Pierre se révèle. Quelques auteurs ont prétendu que, dans la pensée de saint Chrysos- tome, saint Pierre n'était que le premier d'entre les électeurs et non le seul électeur. Mais le texte du/Saint docteur se refuse à cette inter- prétation. Le pape Pie VI, dans/ son bref Super soliditate , se déclare aussi formellement pour le sens opposé à cette interprétation. Dans différents endroits do ses écrits, saint Chrysostome s'écrie et répète : « C'est Pierre qui est la bouche, la tête, le coryphée, le prince des » Apôtres, le docteur, le préfet de tout l'univers, la base, la colonne » do l'Eglise , la pierre inébranlable, le fondement indestructible de la » foi ! a (S. Jean Chrysostome, in Aet. Apost. De Sacerd., liv. 2, 1 . Tradition de l'Eglise sur l'institut, des évêq., tom. I et II. Hist. de S. Chrysost.,c. 31, p. 374.)

22

cours d'histoire ecclésiastique.

S. Pierre •uvre la pré- dication évangélique et convertit 8,000 Juifs.

manquait, sans laquelle il serait resté éternellement immobile; c'est le souffle moteur qui devait lui servir d'âme et le diriger dans sa course , c'est-à-dire, l'assistance du Saint-Esprit.

Mais le moment de le lui communiquer était venu, et le jour à jamais mémorable de la Pentecôte brilla sur le monde. Sur les neuf heures du matin, le Cénacle retentit tout à coup d'un grand bruit, semblable à celui d'un vent impétueux; des langues de feu , descendant du ciel , vinrent se reposer sur la tôle des Apôtres assemblés; ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils commencèrent aussitôt à parler diverses langues. En ce jour, l'institution de l'Eglise fut achevée et la révélation faite aux Apôtres reçut son complément divin. Dès ce moment, indis- solublement unie à l'Esprit vivitîcateur , comme sa mystique épouse, l'Eglise fut animée de sa vie divine et immortelle; et, comme un aigle, dans son essor majestueux, s'élève du nid qui l'enfanta vers la nue, sans discontinuer son vol, de même, l'E- glise catholique , sortant du cénacle après que l'Esprit-Saint l'eut fécondée, commença à travers les âges sa marche triom- phante que rien ne peut ralentir et qui l'emporte vers l'éter- nité. — « Voilà donc, dit un philosophe chrétien, le vaisseau divin mis à flot; et dès lors l'Histoire de l'Eglise, que Rousseau a si justement appelée un prodige continuel , se déroula avec une fidélité admirable aux lois de sa constitution. » Chaque siècle de cette histoire nous présentera la trace des inspirations fécondes et divines de l'Eglise.

Le jour de la Pentecôte , la ville de Jérusalem était remplie d'une multitude d'enfants d'Abraham venus de tous les pays. A la nouvelle du prodige, ils accoururent en foule à la maison des Apôtres. En descendant les marches du Cénacle, le chef du collège apostolique, Pierre, qui était la bouche de tous, comme l'appelle ici saint Chrysostome, voyant celte multitude immense de Juifs , prit la parole et leur prêcha la divinité de Jésus de Nazareth. Ce premier coup de filet du pêcheur d'hommes fit entrer trois mille personnes dans le sein de l'E- glise. — Quelques jours après, au moment de la prière publi- que , le même Apôtre , accompagné du Disciple bien-aimé , montait au temple. A la porte qu'on appelait la Belle, parce qu'elle était d'un travail merveilleux et de pur airain de Co-

PREMIER SIÈCLE.

23

rinthe, un pauvre, âgé de quarante ans, boiteux de naissance et connu de tout le monde, leur demanda l'aumône : c Je n'ai ni or ni argent, lui dit Pierre; mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus de Nazareth , lève-toi et marche. > Aussitôt le boiteux se leva sur ses pieds, et, marchant et sautant, il suivit les deux Apôtres dans le temple. Jamais miracle ne fut plus incontestable et ne produisit un effet plus prompt et plus heu- reux; car, Pierre en ayant profité pour annoncer de nouveau la divinité de Jésus-Christ et sa résurrection d'entre les morts, cinq mille personnes se convertirent à ce second discours , et la première Eglise du Sauveur, établie en face du Calvaire, fut de huit mille fidèles (1).

Ces premiers chrétiens, les prémices de l'Eglise naissante, s'élevant aussitôt aux sommets de la perfection évangélique donnèrent l'exemple de cette incomparable union , de ce déta- chement absolu et de cette charité parfaite, qu'on admira si longtemps dans l'Eglise de Jérusalem. Ils mirent volontairement leurs biens en commun, vendant leurs héritages pour en dis- tribuer le prix selon les besoins de chacun. Ils se réunissaient dans les cénacles ou oratoires des maisons particulières, pour vaquer à la prière et participer à la fraction du pain , c'est- à-dire , à l'eucharistie. Après la prière et l'instruction, pour cimenter la concorde et l'union entre eux, et pour rétablir, dit Bergier, du moins au pied des autels, la fraternité détruite dans la société civile, par la trop grande inégalité des conditions, ils s'asseyaient à une table commune et prenaient un repas connu sous le nom à'agape, qui signifie charité et dilection. Tout s'y passait dans une sainte allégresse et dans une grande simplicité de cœur. Ces premiers fidèles, en effet, étaient des enfants par l'humilité, la pureté et le désintéressement, et composaient, dit saint Chrysoslome , comme une république angélique, angelica respublica. C'est en souvenir des agapes de la primitive Égliâê qu'on offre et distribue le pain bénit, dans l'assemblée des fidèles , aux messes paroissiales.

Cette admirable conduite de l'Eglise de Jérusalem, en parfaite

Vie commune

et édifiante

des premiers

chrétiens.

Différence

d'avec

le

communisme

moderne.

(4) Hist. univ., ge part., c. 20. Fleury, Mœurs des chrét. Rohrbacher, tom. I.

2i cours d'histoire ecclésiastique.

harmonie avec le temps et les personnes, dura près de quarante ans, jusqu'à la retraite des chrétiens à Pella. Les monas- tères et les communautés religieuses, engagés plus tard dans la même voie royale de la perfection chrétienne, la continuent encore aujourd'hui au milieu de nos sociétés corrompues. Voilà un exemple sensible et réel de cette égalité de biens, de cette vie commune que des législateurs et des philosophes de l'antiquité oût proposée comme le moyen le plus propre à rendre tous les hommes heureux, mais sans pouvoir y atteindre. Les socialistes de nos jours rêvent encore la même chose, sans obtenir plus de succès. Plus éclairés que les uns et les autres , les Apôtres et l'Eglise l'ont enseignée comme le partage exclusif et libre de la vertu parfaite; aussi ont-ils établi solidement et partout ce que ces faux sages n'ont jamais fait que rêver (1). La communauté des biens, réalisée par la foi des premiers fidèles, entraînait directement, pour les Apôtres, une adminis- tration et possession temporelles. La propriété ecclésiastique se trouve ainsi constituée au berceau même de l'Eglise. tîrrîWcpn- Parmi ceux qui vendirent leurs terres pour en mettre le prix en commun, l'Écriture cite en particulier un lévite originaire de Chypre, nommé Joseph, qui reçut le surnom de Barnabe, et qui, peu de temps après, élevé aux fonctions et à la dignité d'Apôtre, devint le compagnon de saint Paul. Un autre fidèle, nommé Ananie, ayant soustrait une partie de son argent et menti à saint Pierre, l'Apôtre lui dit : « Ananie, comment Satan a-t-il tenté votre cœur jusqu'à vous faire mentir au Saint-Es- prit et détourner une partie du prix de votre champ? Ne demeu- rait-il pas toujours à vous, si vous aviez voulu le garder? et, même après l'avoir vendu, le prix n'en était-il pas encore à vous? » Ces paroles de l'Apôtre font voir que le crime n'était ni dans le droit exclusif de propriété, ni dans celui de garder pour soi la totalité ou une partie de son bien, mais dans le mensonge du disciple, qui, après avoir affirmé qu'il donnait tous ses biens comme les autres, en retenait une partie par esprit de cupidité et d'avarice. Riches de ce qu'ils retenaient

(4) Fleury, Mœurs des chrét. Bergier, art. Agapes. S. Chry- sost., in Act. Apost., 7.

m'.i'Ui

C il-'

PREMIER SIECLE. 2îi

par aevers eux, Ananie et Saphire le devenaient bien davantage en acquérant le droit de partage au trésor commun de l'Église. Cette coupable spéculation fut le premier attentat contre les biens de l'Église et des pauvres. Comme on le voit, l'oblation fut libre et sainte dès le commencement de la prédication évan- gélique, et c'est ce qui établit une différence fondamentalr entre l'Évangile et le communisme. Le communisme c'est l'exaltation jusqu'au délire de tous les appétits matériels et de toutes les convoitises grossières. La communauté évangélique, c'est l'abnégation de soi, l'immolation de l'orgueil et de la chair. De l'un à l'autre, il y a la distance du ciel à l'enfer.

La réprimande adressée à Ananie par saint Pierre fut à l'ins- tant même suivie du châtiment; car Ananie et Saphire, sa femme et sa complice, tombèrent, à trois heures d'intervalle, morts aux pieds de l'Apôtre.

L'impression produite par ce terrible châtiment, les miracles Fureur des Apôtres qui se renouvelaient sans cesse, et la vie sainte des premiers chrétiens, augmentaient prodigieusement chaque jour le nombre des fidèles. L'ombre seule de saint Pierre suffisait pour opérer des prodiges; le peuple apportait, des villes voisines à Jérusalem, les possédés et les malades de toute espèce, et ils retournaient guéris. A cette vue, la Synagogue s'émut; trois fois les Apôtres furent traduits devant le grand sanhédrin. La première fois, on leur défendit avec menace d'enseigner désor- mais au nom de Jésus. La seconde fois, on les mit en prison, mais un ange les délivra; et la troisième, on les flagella ignomi- nieusement. — Sans se laisser intimider, Pierre et Jean firent alors retentir pour la première fois aux oreilles d'Anne et de Caïphe ce fameux et apostolique non possumus , qui, répété par leurs successeurs aux puissances hostiles à la vérité, a, malgré toutes les tyrannies, conservé au monde le bienfait de l'Evan- gile : « Nous ne pouvons, dirent-ils, taire ce que nous avons vu et entendu : jugez vous-mêmes s'il est juste de vous obéir plu- tôt qu'à Dieu. » L'intrépidité des Apôtres et leurs réponses pleines de force autant que de sagesse finirent par irriter telle- ment le conseil, qu'il allait se livrer aux derniers excès, quand un vénérable docteur, nommé Gamaiiel, arrêta l'emportement par un avis aussi sage que simple : « Cessez, dit-il, d'inquiéter

des sept diacres

26 cours d'histoire ecclésiastique.

ces gens-là : si leur projet est l'ouvrage des hommes, il tombera de lui-même ; si c'est l'œuvre de Dieu , vainement vous essaye- riez d'en arrêter le cours. » L'avis fut adopté en partie , et les Apôtres furent relâchés , avec une nouvelle défense de parler du Crucifié. Mais, il aurait été plus facile d'éteindre un vaste in- cendie et d'arrêter le cours du torrent le plus impétueux , que de ralentir le zèle et d'épouvanter le courage de ces douze pêcheurs naguère si timides , et dont une simple servante avait fait pâlir le chef. Ils s'en allèrent donc pleins de joie d'avoir été jugés dignes de souffrir pour le nom de leur divin Maître, ne cessant de prêcher Jésus-Christ dans le temple, et d'enseigner tous les jours les fidèles dans l'intérieur des maisons (1). Ordination Aussi, bien loin de diminuer, le nombre des chrétiens s'ac- crut tellement, que les Apôtres ne pouvaient plus suffire à leurs fonctions, et plusieurs fidèles hellénistes, c'est-à-dire, des Juifs qui étaient nés parmi les Grecs et qui en parlaient la langue , se plaignaient de ce que leurs veuves étaient négligées dans la dis- tribution des aumônes et le ministère quotidien. « Il n'est pas juste cependant, dirent alors les Apôtres, que nous abandonnions la prière et la prédication de la parole de Dieu pour le service dés tables. Choisissez donc, nos frères, sept hommes irrépro- chables , pleins du Saint-Esprit et de sagesse , que nous char- gions de ce ministère. » La proposition fut acceptée d'une voix unanime, et on procéda à l'élection qui donna les sept noms sui- vants ! Etienne, Philippe, Prochore , Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas. Le choix fait, on amena les élus aux Apôtres, qui, * priant sur eux, leur imposèrent les mains » et leur confé- rèrent ainsi le diaconat, comme, par le même signe sacramentel, Jésus-Christ avait conféré la plénitude du sacerdoce aux douze. Par cet ordre, ils reçurent le pouvoir de présider, non-seule- ment à la distribution des aumônes, mais encore de servir à la table sacrée , c'est-à-dire, à l'administration de l'Eucharistie : ce qui a fait dire à saint Ignace d'Antioche : « Que les diacres étaient les dispensateurs, non des repas ordinaires, mais des mystères de Jésus-Christ; les ministres de l'Eglise de Dieu. » L'on voit par la seconde Apologie de saint Justin, « qu'ils por-

MAct.Aposi.tC. 4, 6.

PREMIER SIÈCLE. 27

taient l'Eucharistie à ceux qui n'avaient pu se trouver, le di- manche, à l'assemblée des fidèles. Ils administraient aussi le baptême, et, dans l'occasion , ils prêchaient même l'Evangile, » Ce l'ut le premier acte de saint Etienne après son ordina- tion. — « Les diacres, disent les Constitutions apostoliques, sont les yeux et le bras de l'évèque , » et cette parole a été in- sérée dans le corps du droit canonique (1).

Cette augmentation des ouvriers évangéliques rendit les pro- Martyr» grès du Christianisme encore plus rapides. Le premier des sept s. Etienne, diacres surtout, Etienne, Grec de naissance, comme l'indique ~„

' ' n An 33.

son nom, homme que le Saint-Esprit appelle « plein de foi, de grâce et de force, » seconda merveilleusement les Apôtres; et Dieu opéra, par son ministère, une multitude de miracles. A celle vue, la Synagogue se trouble et s'épouvante de plus en plus; quelques-uns de ses membres veulent disputer avec Etienne, mais Etienne les confond. Alors on s'empare du saint diacre, on le traîne hors de la ville, et on l'accable sous une grêle de pierres. Ce fut le premier sang qui se mêla au sang du Rédempteur ; et saint Etienne , selon la parole d'un Père de l'Eglise, est comme le porte-étendard de la grande et héroïque armée des martyrs.

Pendant qu'on lapidait Etienne, un jeune homme de Cilicie , ceavenfaii nommé Saul , gardait les habits de ses meurtriers; ce qui a fait *■

dire à saint Augustin, « qu'il le lapidait, en quelque sorte , lui ' ' seul, par la main de tous les autres. » Ce premier excès, au Au3* lieu d'assouvir sa rage, ne fit que l'irriter; il se jeta sur le trou- peau de Jésus-Christ « semblable à un loup furieux , » c'est le nom qu'il se donne; et nous apprenons de lui-même qu'il se trans- portait dans toutes les maisons suspectes de Christianisme, traî- nait en prison les hommes et les femmes qui confessaient Jésus- Christ , et faisaient décerner contre eux des arrêts de mort dont il pressait vivement l'exécution. Un jour, ne respirant que le sang et le carnage, il se rendait à Damas, escorté d'officiers sous ses ordres, et muni contre les chrétiens de pouvoirs abso- lus. Tout à coup , une éclatante lumière venant du ciel l'envi- ronne, l'éblouit et le renverse; une voix miraculeuse se fait

(1) Êptii, ad Indiennes, But, de l'Eg., Darras, t. V.

Visite de S. Paul S. l'icrre.

28 cours d'histoire ecclésiastique.

entendre, et lui dit en hébreu : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? » Aveuglé par l'éclat de la lumière, et étendu tremblant sur la route , Saul répondit : « Seigneur, que voulez- vous que je fasse? » « Lève-toi, reprit la voix, entre à Da- mas , et on te dira ce qu'il faut que tu fasses. » De loup féroce devenu obéissant agneau, Saul se lève, et ses compa- gnons l'emmènent par la main jusqu'à Damas. Un disciple nommé Ananie, qui avait fondé une Eglise dans cette ville, reçut l'ordre de Dieu d'aller le trouver; Ananie vint, le baptisa, lui rendit la vue, et aussitôt Saul se mit à prêcher Jésus-Christ dans les synagogues, au grand étonnement de tous. C'est alors qu'il alla en Arabie, ce que plusieurs, dit Tillemont, en- tendent de la campagne aux environs de Damas, qui apparte- nait à Arétas, roi des Arabes (1). Saul avait été disciple de Gamaliel et condisciple de saint Etienne; peut-être avait-il pris une vive part à la discussion des Juifs contre le saint diacre.

Trois ans après , Saul quitta ces lieux pour échapper à la haine des Juifs qui voulaient le faire mourir, et il vint à Jéru- salem « afin de voir Pierre, » comme il le dit lui-même. « Il fallait, dit Bossuet, que le grand Paul, Paul revenu du troi- sième ciel (2), vint voir Pierre : non pas Jacques, un si grand Apôtre, frère du Seigneur, appelé le Juste : ce n'était pas lui que Paul devait venir voir; mais il alla voir Pierre, et le voir, selon la force de l'original grec, comme on vient voir une chose pleine de merveilles et digne d'être recherchée; le contempler, l'étudier, dit saint Chrysostome, et le voir comme plus grand, aussi bien que plus ancien que lui, dit le même Père; le voir néanmoins non pour être instruit, lui que Jésus- Christ instruisait par une révélation si expresse , mais aiin de

(1) Tillemont, Hist. ecclés., tom. I.

(2) Bossuet, d'accord avec saint Thomas, suppose que le ravisse- ment de saint Paul a eu lieu à Damas, immédiatement après sa con- version. Mais Baronius et les autres auteurs, après un examen plus approfondi, dit Picquigny, le placent plus tard, environ dix ans après la conversion de l'Apôtre. Ce dernier sentiment parait le plus généralement admis. Ici , comme pour toutes les dates primitives sur lesquelles il y a variété d'opinion, nous avons suivi le sentiment qui nous a semblé le plus commun ou le plus probable.

PREMIER SIÈCLE. 59

donner la forme aux siècles futurs, et qu'il demeurât établi à jamais que, quelque docte, quelque saint qu'on soit, fût-on un autre saint Paul, il faut voir Pierre. » « Saint Paul va » voir Pierre, dit sur le même sujet le prêtre Victorinus, doc- » leur presque contemporain du concile de Nicée; car si les » fondements de l'Église sont fondés sur Pierre, Paul, à qui » toute chose avait été révélée, savait qu'il était obligé de voir » Pierre, à cause de l'autorité qui lui avait été remise, et non » pour apprendre quelque chose de lui. » « Il va voir Pierre, » à Jérusalem, dit Tertullien , pour remplii; un devoir et satis- » faire à l'obligation de la foi. » « Il devait désirer de voir » Pierre , disent saint Ambroise et saint Hilaire, parce que » c'était l'Apôtre à qui Notre Seigneur avait délégué le soin de » toutes les Églises, et non qu'il pût apprendre quelque chose » de lui. » « Il n'alla pas pour apprendre , dit saint Jérôme, » mais pour faire honneur au premier des Apôtres. » « Il » n'avait pas besoin, dit Théodoret, de lui demander des doc- » trines qu'il avait reçues de Dieu, mais il rend un honneur » convenable à son chef. » C'est ainsi que Pierre est regardé comme pontife et Apôtre suprême par tous, et spécialement par le grand Apôtre des nations, qui, choisi directement et miraculeusement par le Sauveur, semblait devoir faire ex- ception à la loi de la commune obéissance (1).

Pierre retint le nouvel Apôtre quinze jours dans sa mai- sou , et l'on pense, dit Berault-Bercastel , qu'il lui conféra, par l'imposition des mains, le caractère du sacerdoce et la di- gnité de l'épiscopat. C'était, au sixième siècle, une tradition de l'Eglise romaine que Pierre avait imposé les mains à saint Paul (2). Pendant son séjour à Jérusalem, Saul répara le scandale qu'il y avait autrefois donné , ne laissant échapper aucune occasion de rendre témoignage à Jésus-Christ; souvent il disputait avec les Juifs étrangers, ceux du pays ne voulant ni le voir ni l'entendre.

L'orage que la Synagogue, Saul en tête, avait excité pour s. jar,[II(,s

la Mineur est ta*Utu4

(1) Bise, sur l'unité de l'Eglise. L'infaillibilité , par M. de Saint- Mqu Bonnet. Le souverain Pontife, par Mf-'"" de Ségur, pag. 42. ,l<'

(2) Trad. lnst. Ev., tom. I.

30

GOURS D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

Confirmation donnée

anéantir l'Eglise naissante, fut comme un vent favorable qui répandit au loin la semence ôvangélique. Les douze Apôtres, il est vrai, restèrent à Jérusalem pendant la tempête, pour protéger le troupeau, comme, dans le combat, les capitaines se tiennent à l'endroit le plus chaud de la mêlée. On croit même que c'est alors que saint Jacques, fils d'Alphée, parent de Jésus-Christ, et dit le Mineur, pour le distinguer de l'A- pôtre du même nom, plus âgé que lui, fut institué premier évèque de Jérusalem par saint Pierre , afin de veiller d'une manière spéciale su» les fidèles de cette Eglise (1). Mais tous les autres ouvriers évangéliques se dispersèrent dans les diffé- rentes contrées de la Palestine (2), en Phénicie, dans l'île de Chypre et dans le pays d'Antioche. Le disciple Ananie s'était avancé jusqu'à Damas, et Philippe, le second des diacres, alla prêcher à Samarie , le peuple , témoin des miracles qu'il opérait, se convertit en foule et reçut le baptême.

Quand les Apôtres eurent appris que les Samaritains avaient embrassé la foi, ils envoyèrent (3) saint Pierre et saint Jean pour leur imposer les mains , afin de leur communiquer le Saint-Esprit : car, dit saint Epiphane , Philippe , n'étant que diacre , leur avait seulement donné le baptême , et n'avait pas le pouvoir d'imposer les mains et de communiquer le Saint- Esprit. Saint Pierre et saint Jean retournèrent ensuite à Jé- rusalem, et le diacre Philippe, averti par un ange, prit la route qui conduit à Gaza , rencontra l'eunuque , trésorier de

(i) Clément d'Alexandrie cité par Eusèbe assure que Jacques, frère du Seigneur, fut créé évoque de Jérusalem par Pierre , Jacques et Jean. La Chronique d'Alexandrie ne parle que de saint Pierre , et dit qu'il intronisa saint Jacques à sa place lorsqu'il partit pour Rome. (Eusèb. Hist. eccl., liv. 2, c. I. Trad. Inst. Ev., tom. I.)

(2) La Palestine se divisait en trois parties : la Judée , la Samarie et la Galilée haute et basse. Il y avait, en outre, les régions au delà du Jourdain : la Pérée, Galaad, la Décapole, la Gaulonite, la Bathanée, l'Auranite, la Trachonite, l'Abilène.

(3) Hujus modi missio non nocet prxrogativis Pétri. Ssepissime pri- ant magistratus, tanquam legati tnissi fuerunt a civibns;v. g. : « fs- mael summus sacerdos, a Jndœis 7nissus est Romain ad Neronem » {Antiq., Josèphe. Mgr Bouvier, Tract, de Eccl.)

rREMIFR SIÈCLE.

31

Candace, reine d'Ethiopie, lisant sur son char les prophéties d'Isaïe, il les lui expliqua, l'instruisit et le baptisa.

Ce fut à Samarie, pendant que saint Philippe y prêchait, que parut le premier de tous les hérésiarques, Simon le Ma- gicien, originaire de Gitta, bourgade du territoire samaritain, et si célèbre par ses prestiges, qu'on l'appelait la Vertu de Dieu. Il ne put néanmoins tenir contre le saint diacre ; il parut même touché de ses prédications, demanda et reçut le baptême. Quand les deux Apôtres, venus de Jérusalem pour donner la confirmation aux Samaritains , leur imposèrent les mains , Simon fut frappé de voir le Saint-Esprit descendre sur les fidèles et se manifester d'une manière sensible par le don des langues et par les autres miracles. Ce merveilleux spectacle excitant son envie , il offrit de l'argent aux Apôtres pour obtenir le pouvoir d'opérer les mêmes prodiges, et le confisquer à son profit . Il voulait devenir évêque de Samarie , afin d'augmenter son influence sur le peuple vivement impressionné par la pré- dication et les miracles des Apôtres. « Que ton argent périsse avec toi, lui dit Pierre, plein d'une sainte indignation, puis- que tu crois pouvoir acheter le don de Dieu! Tu n'as aucune part dans ce ministère, car ton cœur n'est pas droit devant le Seigneur; » et il l'exhorta à faire pénitence. Le nouvel apostat était loin du sentiment de repentir que lui prêchait saint Pierre. Au lieu donc de profiter de sa remontrance , il chercha à exploi- ter la révélation au profit de son ambition, et il devint l'ennemi personnel des Apôtres. Il opposa à leur enseignement divin une ambitieuse et absurde synthèse se trouvait, selon Rece- veur et Darras, le germe de toutes les hérésies qui affligèrent l'Eglise pendant plusieurs siècles (1).

Il répandit surtout la doctrine des éons, espèce d'êtres engen- drés les uns des autres, dont la première catégorie, émanée de Dieu même, était toute céleste, et la dernière aboutissait au monde grossier et matériel. Ce système, développé plus tard par Valentin , forma la base du Gnosticisme et du Panthéisme alexandrin. Simon se donnait lui-même comme le premier

Simon hérésiarqw

Erreurs

de Simon

le Magicien

(4) Newman, Bitî. du développ. du Christinnisme. Rromeur,

1,1';.

32 cours d'histoire ecclésiastique.

(les éons, et ne plaçait le Verbe qu'au cinquième rang; par là, il préludait à l'Arianisme. Selon lui, la matière était éter- nelle, il la disait ennemie de Dieu, et en attribuait l'ordre actuel aux mauvais anges. Il expliquait ainsi l'origine du mal, par les principes que développèrent ensuite les manichéens. La récente découverte du manuscrit des philosophumena a plus nettement dévoilé le vaste système gnostique organisé par le patriarche de l'hérésie.

Quant à la morale, Simon niait toute différence entre le bicp et le mal. Les actes ne sont ni bons ni mauvais; les liens du mariage sont une superstition; la famille est une institution perverse; ses lois sont toutes émanées des mauvais anges... Aussi les disciples du mage de Gitta vivaient-ils dans les plus grossières débauches; et lui-même traînait partout avec lui une femme nommée Hélène, qu'il avait achetée dans une maison de prostitution et sur laquelle il débitait mille extravagances. La honte du crime qu'il proposa à saint Pierre est demeurée pour toujours attachée à sa mémoire, et, après dix-huit siècles, on désigne encore sous le nom de simonie le trafic des choses saintes. Les pratiques et opérations magiques de Simon , révélées par les philosophumena, offrent plus d'un trait de ressemblance avec le spiritisme actuel et les ténébreuses évo- cations des temps modernes. Appointas L'enfer suscita, vers ce même temps, un autre adversaire aux Apôtres : c'est Appollonius de Tyane, quelques années avant Jésus-Christ. Il n'avait pas une doctrine nouvelle et par- ticulière. Il adopta le système de Pylhagore , dont le mysti- cisme exalté convenait parfaitement à la tournure de son esprit enthousiaste (1). Il se lit passer pour l'ami des dieux et protégea le culte populaire des idoles. Doué d'un génie supérieur, d'une mémoire sans exemple, habile dans toutes les sciences et les arts de la Grèce, chaste, du moins en apparence, il joignait à tous ces avantages ceux d'une taille majestueuse et comme

(1) Le dogme principal de la philosophie de Pythagore était la mé- tempsycose empruntée des Egyptiens ou des Brachmanes. L'âme de l'homme était une partie de l'intelligence suprême dont son union avec le corps la retenait séparée, et qui s'y réunissait lorsqu'elle s'élail dégagée de toute affection aux choses temporelles.

Tvane.

(le ïya

PREMIER SIÈCLE. 33

surhumaine, d'un si grand air de dignité et d'une telle beauté de visage, que sa figure seule ravissait et entraînait les peuples à sa suite. Son sens, naturellement droit et fin, lui fit observer que le langage emphatique et la morgue accoutumée des phi- losophes, loin de leur acquérir de l'estime et du crédit, ne leur donnaient le plus souvent que du ridicule; il prit donc un lan- gage clair et simple qui attirait et captivait les cœurs. Aussi le recevait- on partout avec des honneurs extraordinaires, et des villes entières lui envoyèrent demander son amitié. Le Paga- nisme n'eut peut-être jamais d'apôtre plus séduisant. On lui a môme attribué des actes surhumains. Champion de Pr*"*"

miracles

l'idolâtrie, il ne serait pas étonnant que le démon 1 eût secondé. d'AppoUemu Dans le choc suprême de la vérité avec l'erreur, Satan , dit M»r Freppel, ramassait toute sa puissance; et le faux surnaturel se jetait au travers du surnaturel véritable , pour en combattre l'eiïet par le prestige de ses contrefaçons. Cependant ces faits sont loin d'être certains, car ils furent d'abord recueillis par un nommé Damis , de Ninive , son disciple et son ami , que le phi- losophe Lucien traduit comme un aventurier indigne de croyance et do la moindre considération. L'écrit de Damis n'existe même plus, et il ne nous en reste que des lambeaux altérés et des bruits vagues , ramassés plus de cent ans après par le sophiste Philostrate, « le plus menteur des hommes après Voltaire, > dit Xonnotte. Encore Philoslrate ne lit-il ce recueil que pour flatter, dans ses travers de femme savante, l'impératrice Julie, épouse de l'empereur Septime-Sévère , de mœurs très-dissolues, amie du merveilleux et ennemie jurée du Chrislianisnïe. Au surplus, ces faits extraordinaires, tels que Phileutrate les raconte, ne dépassent pas, à la rigueur, les limites de la force et de l'adresse humaines. Le plus célèbre de tous, sans con- tredit, est la prétendue résurrection d'une jeune fille dont Appollonius rencontra le convoi à Rome. Mais Philostrate lui- même n'ose pas assurer qu'elle fût morte; il sortait encore quelques vapeurs de son visage, et il tombait alors de la rosée qui put bien la faire revenir de sa léthargie. C'est ainsi que les propres admirateurs d'Appollonius ont rapporté ce prétendu miracle. Au reste, dit Rohrbacher, tout le récit de Philostrate est si plein de contes puériles et ridicules, qu'il s'ôte lui-même

Cocas d'H!STOIR«i

S4

cours d'histoire ecclésiastique.

Virito

pastorale

4e S. Pierre

à Lydde , à Joppé,

a Césarée.

Aa;35.

S. Pierre

baptise le centurion Corneille et ouvre la vaste mission des Gentils.

toute croyance, et ce serait perdre son temps et insulter au bon sens des lecteurs , que de les réfuter sérieusement. Ainsi en ont jugé, parmi les anciens : Lactance, Eusèbe, saint Chrysostome, saint Augustin, Photius, Suidas, et, parmi les modernes : EUies Dupin, Scaliger, Vossius, Casaubon, Baur, etc. (1).

Cependant les fidèles de la Judée, de la Galilée et de la Sa- marie jouissaient d'un peu de calme, attribué par quelques auteurs à un édit de l'empereur Tibère , favorable au Christia- nisme. Le chef de l'Eglise, Pierre, en profita pour visiter les brebis de son troupeau; « semblable, dit saint Chrysostome, à un général qui fait la ronde pour voir si tout est bien dans l'ordre. » La sollicitude pontificale le conduisit d'abord à Lydde, ville de la tribu d'Ephraïm , plus tard Diospolis , où, au seul nom de Jésus-Christ, il guérit le paralytique Enée étendu depuis huit ans sur son lit. De Lydde, il passa à Joppé, et il y ressuscita une veuve nommée Tabithe, en grec Dorcas, à la prière des pauvres , des veuves et des orphelins de la ville qui pleuraient sa mort comme celle de leur mère. Ces prodiges opé- rèrent un grand nombre de conversions. Saint Pierre était encore à Joppé, quand un centurion romain, nommé Corneille, homme juste et craignant Dieu, averti par un ange, l'envoya chercher pour qu'il vînt à Césarée le baptiser avec toute sa fa- mille. L'Apôtre, averti de son côté par une vision céleste, s'y rendit aussitôt , instruisit et baptisa le fervent centurion et tous ses parents réunis dans sa maison. Le Saint-Esprit descendit visiblement sur eux, et leur communiqua, avec sa grâce, le don merveilleux des langues. « Ainsi, Pierre fut le premier à recevoir les Gentils ; il avait été déjà le premier à convertir les Juifs, etc.: le premier partout ! dit Bossuet, ou plutôt saint Chry- sostome que Bossuet ne fait presque que traduire. En effet, la divine primauté de Pierre éclate partout : dans le gouverne- ment, lors de l'élection de Matthias; dans l'apostolat, le jour de la Pentecôte; dans la persécution, devant le Sanhédrin; dans la magistrature suprême , lors de la condamnation et punition des deux spoliateurs des biens de l'Église. Pierre est

(<) Fleury, tom. I. Rohrb., tom. IV. Tholuc, Crédibilité de î'hist. évang.

PREMIER SIÈCLE.

M

donc le premier comme chef, comme docteur, comme juge, comme pasteur et même comme thaumaturge (1).

Le prince des Apôtres étant retourné à Jérusalem, plusieurs Juifs convertis lui adressèrent des observations à l'égard du bap- tême de Corneille , et se plaignirent (2) qu'il fût entré chez des incirconcis et qu'il eût mangé avec eux. Mais il leur raconta tout ce qui s'était passé, et ses paroles firent cesser les plaintes des fidèles. Alors, tous ensemble, ils bénirent le Seigneur de ce qu'il daignait communiquer aussi sa grâce aux Gentils.

C'était, en effet, l'heure marquée par la divine Providence pour annoncer la bonne nouvelle aux nations idolâtres. Fidèles à la voix du ciel , les Apôtres se disposèrent donc à partir. Mais' avant de se disperser, ils rédigèrent eux-mêmes, selon Noël Alexandre, Mansi , Trombelli et beaucoup d'autres auteurs, le Symbole qui porte leur nom, « et qui devait être, ditFleury, le nœud de l'unité pour toutes les Eglises , et comme le mot du guet pour toutes les troupes de Jésus-Christ. » Le Symbole, dit un savant prélat, contient le fond apostolique, dont tous les autres symboles ne sont que des formes particulières , des déve- loppements. — Quelques-uns prétendent que chacun des douze Apôtres en avait composé un article, mais cela n'est pas prouvé. Ce qui parait certain , c'est qu'on n'enseigna d'abord le Symbole que de vive voix, et que, pendant plusieurs siècles , on ne per- mit pas de l'écrire; de peut-être la différence qui se trouvait dans la formule, en quelques Eglises (3).

Dispersion

fies Apôtres,

leur symbole,

leurs

pouvoirs

extraordinaires

(4) Le droit d'envoyer des missionnaires et de commencer les mis- sions a toujours été exercé par Rome à peu près seule. (Trad. Inst. Ev., tom. I et II. Rohrb., tom. IV. Godesc, Saint Pierre. Hist. eccl.. Darras.)

(2) Cérinthe, plus tard hérésiarque, fut, dit-on, le principal au- teur de cette plainte.

(3) Bergier donne comme très-douteux que les Apôtres aient eux- mêmes rédigé la formule actuelle du Symbole. « Mais il ne s'ensuit pas, dit-il, qu'on ait eu tort de l'appeler Symbole des Apôtres, puis- qu'elle renferme exactement les principaux articles de leur doctrine. Ussérius, Bingham, Basnage et la foule des auteurs protestants ont aussi nié l'authenticité du Symbole , en ce sens que la doctrine seule et non le texte remonte jusqu'aux Apôtres. Alors même, dit

3K

COURS D HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

L'apostolat et l'épiscopat.

Similitude

et différence

entre

les deux.

Partant de Jérusalem , les douze Apôtres se dirigèrent à l'orient et à l'occident, au nord et au midi; et la terre entière jusqu'à ses extrémités les plus reculées, reçut la visite de quel- ques-uns de ces nouveaux conquérants, a Leur juridiction, dit M. Jager, n'était renfermée dans d'autres limites que celles que leur imposait la fatigue. Ils n'avaient qu'à aller devant eux, établissant à chacune de leurs haltes une Eglise nouvelle, pour laquelle, avant de passer outre, ils ordonnaient des diacres, des prêtres et un évèque. Une autorité extraordinaire fut donnée aux Apôtres, dit un autre auteur, pour que l'œuvre de Dieu s'accomplît avec une rapidité non moins extraordinaire. Quoique inférieurs à Pierre, qui tenait au milieu d'eux la place de Jésus- Christ, ils avaient reçu comme lui la plénitude de la puissance apostolique; mais ils ne la transmettront point à leurs succes- seurs;, elle n'est pour eux qu'une commission personnelle et temporaire. Ils seront comme des conquérants qui, ne devant point avoir de postérité, laissent toutes leurs conquêtes à un monarque plus heureux, dont la race ne s'éteindra point. Avec eux cessera l'apostolat, ainsi que tous les privilèges propres et incommunicables qui y sont attachés : le don des miracles , l'inspiration, l'infaillibilité personnelle, etc. « Il est incon- testable, dit M. Guizot, que les premiers fondateurs, ou pour mieux dire, les premiers instruments de la fondation du Chris-

un grave docteur, qu'on se refuserait à se rendre aux témoignages si précis et si nombreux des Pères et des écrivains du iv<> et du v siècle, qui attestent uniformément que les Apôtres en sont les auteurs, on ne pourrait nier qu'il n'ait existé, au moins dès le second siècle , un sommaire de la foi qu'on livrait aux catéchumènes avant le baptême , que ce sommaire de la foi ne fût conforme au Symbole tel que nous lo récitons, non-seulement quant à la doctrine, mais quant à l'ordre même des articles ; que reçu et conservé dans toutes les parties do l'Egliso, jusque chez les peuples qui ne connaissaient pas les saintes Ecritures, il ne fût regardé partout comme venant des Apôtres, etc. » « Le Symbole, dit Newman, n'est pas une collection de définitions, mais un sommaire de certaines vérités qui doivent être crues ; un sommaire incomplet , et , comme le Pater ou le Décalogue, un simple échantillon des vérités divines, et surtout des vérités les plus élémen- taires. » (Hist, du développement. Hist. du Dog. cath., Introd., p. 35.)

PREMIER SIÈCLE. J7

lianisme, les Apôtres, se regardaient comme investis d'une mission spéciale reçue d'en-haut (1). » La dignité épiscopale, séparée de ces pouvoirs extraordinaires, est la seule qui doive subsister, parce que c'est la seule qui entre dans l'économie d'un gouvernement stable, tout se rapporte à un centre commun et vient y puiser sa force. « Il faut, dit Bossuet, que la commission extraordinaire de Paul expire avec lui à Rome , et que, réunie à jamais, pour ainsi parler, à la chaire suprême de saint Pierre, à laquelle elle était subordonnée, elle élève l'Eglise romaine au comble de l'autorité et de la gloire (2). » Ce qui est vrai de saint Paul est également vrai des autres Apôtres. C'est une maxime reçue de tous les théologiens , que les évoques leur succèdent dans l'épiscopat et non dans l'apos- tolat. Il ne servirait de rien de répondre, observe le cardinal Gerdil, que cette distinction ne se trouve que dans les écrivains modernes. Cela peut être vrai tout au plus pour le son des mots, mais la chose est aussi ancienne que l'Eglise. Qui jamais s'est imaginé que les sept évoques d'Asie fussent égaux à saint Jean dans la puissance du gouvernement , ou que Denys l'Aréopagite et les autres évèques que saint Paul avait préposés à diverses Eglises particulières, possédassent la même autorité que lui? » Chacun des Apôtres, dit M** de Ségur, avait reçu de Dieu l'infaillibilité doctrinale et le plein pouvoir de fonder et de constituer des Eglises par toute la terre , ministère extraordi- naire qui devait finir avec eux, et qui est l'essence du ministère ordinaire et permanent de saint Pierre seul et de ses succes- seurs jusqu'à la fin du monde. C'est pour cela que le siège épiscopal de Rome est le seul siège apostolique, et que l'Eglise n'est apostolique que parce qu'elle est romaine et gouvernée par saint Pierre. Pierre, dans ses successeurs, demeure le rem- plaçant, le vicaire de Jésus- Christ lui-même. Il suit de que les evèques doivent la soumission au Pape , comme les Apôtres à Jésus-Christ, et que le Pape gouverne les évèques et les en- seigne ainsi que tout le reste du troupeau , de même que Jésus- Christ, dont il est le vicaire, gouverna et enseigna ses Apôtres.

(1) Histoire de la civilisation en France, tom. I, leçon 3».

(2) Sermon sur l'unité.

38

COURS D HISTOIRE ECCLESIASTIQUE.

Différentes

missions

de S. Pierre.

Il fixe sou

siège à Antioche.

Au 36.

De cette parole de Bossuet : « Pasteurs à l'égard des peuples, » brebis à l'égard de Pierre (1). »

Au moment de la dispersion générale des Apôtres, le chef de l'Eglise se dirigea vers Antioche, métropole de l'Orient, et il y établit, pour quelques années, sa chaire suprême, ainsi que le témoignent Origène , Eusèbe , saint Jérôme , saint Chrysos- tome, etc. Saint Pierre ne résida cependant pas toujours dans cette capitale, car il parcourut dans le même temps le Pont, la Bithynie, la Gappadoce et les provinces de l'Asie, pour y prêcher l'Evangile.

Saint Jacques le Mineur, fils d'Alphée et frère de saint Jude, ne s'éloigna pas de Jérusalem, dont il était évêque, et d'où il veillait sur les Eglises de la Judée.

Saint Jean passa dans l'Asie Mineure, il fonda les Eglises de Smyrne, de Pergame, de Sardes, de Laodicée, etc. Il se fixa plus tard à Ephèse , il mourut à la fin du premier siècle. Il est probable qu'il pénétra aussi dans la Haute-Asie soumise aux Parthes, et l'on dit que sa première Epitre portait autrefois leur nom, comme leur étant adressée.

Quelques auteurs ont prétendu qu'il avait mené avec lui la sainte Vierge à Ephèse, et qu'elle était morte dans cette ville, l'on voyait, à l'époque du troisième concile œcuménique, une église dédiée en son nom; mais saint Denys l'Aréopagite, saint Epiphane, Baronius et plusieurs autres croient, avec plus de fondement, qu'elle mourut à Jérusalem vers l'an 45 ou 48. Suarez parait même le supposer comme certain. On n'a jamais pu fixer le temps ni les circonstances de sa mort; seulement une tradition très-ancienne , en faveur de laquelle l'Eglise s'est déclarée d'une manière formelle, porte qu'elle ressuscita, et qu'elle fut enlevée au ciel en corps et en âme , peu de jours après son trépas (2). Au sujet du nombre des années que la

(4) Trad. Instit. Év. Introd., tom. I, tora. III. Le souverain Pon- tife, par M«r de Ségur, p. 40. D. Guéranger, Monarchie pontif., p. 55.

(2) Dans la préface , ou comme on parlait alors, dans la contestation d'une messe de l'Assomption qui est dans un ancien missel gallican, il est expressément marqué que « le corps de la sainte Vierge ne de- meura pas dans le tombeau. » Le missel gothique , qui était en

PREMIER SIÈCLE.

39

sainte Vierge passa sur la terre , les témoignages varient de 50 à 72 ans.

Saint Jacques le Majeur, fils de Zébédée et frère de saint Jean , prêcha surtout aux Juifs ; et , après avoir parcouru divers pays que l'histoire ne désigne pas, il souffrit le martyre à Jéru- salem. Selon Godescard et Feller, ses disciples portèrent son corps en Espagne. La tradition immémoriale des Eglises de ce pays a toujours été que saint Jacques leur a, le premier, annoncé l'Evangile, peu de temps après le martyre de saint Etienne. Cette croyance est appuyée sur l'autorité de saint Isi- dore de Séville; du Bréviaire de Tolède; de saint Jérôme; des livres arabes d'Anastase , patriarche d'Antioche; du P. Guper, bollandiste; du P. Florès, qui a soutenu ce sentiment contre le dominicain Mamachi; du P. Ferlât et du cardinal d'Aguirre. Cependant, au concile de Latràn, sous Innocent III, l'évèque de Compostelle ne put répondre aux raisons de RodericXimenès son métropolitain, qui attaquait directement cette tradition. Re- ceveur dit aussi qu'elle n'est pas bien authentique, et ne paraît pas remonter au delà du vme siècle. Sous le règne d'Alphonse le Chaste, suivant cet historien, on découvrit sur les frontières de la Galice le corps de cet Apôtre , qui fut transporté à Com- postelle, capitale de cette province; sans qu'on sache néanmoins ni quand ni comment s'est faite cette translation. Saint Adon, archevêque de Vienne , et Usuard, moine de Saint-Germain des Prés, tous deux auteurs contemporains, en parlent dans leurs Martyrologes qui sont très -estimés. Ce qui est certain, dit M. Darras, c'est que les reliques de saint Jacques furent plus tard transportées à Iria-Glavia , aujourd'hui Compostelle , ainsi nommé de la réunion de deux mots espagnols : Giacomo apostolo. Quelques auteurs cependant ne seraient pas éloignés de croire qu'il peut y avoir eu à Compostelle un autre saint Jac-

Rcliques

de S. Jacques

le Majeur

n

Compostelle

en

Espagne.

usage dans la province narbonnaise avant Charlemagne, s'exprime aussi clairement : Quxnec resolutionem pertulit in sepulcro. Saint Grégoire de Tours affirme la môme chose. Summx temeritatis reus fur qui tam religiosum sententiam impugnaret (It'a Suarez, Baronius, Thomassinus, Nat. Alex., Benedict. XIV, etc. Hist. de l'Egl. gaUic., tom. III, liv. 8, p. 304).

40 cours d'histoire ecclésiastique.

ques, dont on aurait confondu les reliques avec celles de l'A- pôtre (1). Prédication Saint André, frère de saint Pierre, fut envoyé dans la Scythie, des antres scion Sophrone , Théodorct , Eusèbc, saint Jérôme, saint Gré- Apuma. goire de Nazianze, et souffrit le martyre à Tairas dans l'Achale. Ainsi l'assurent les prêtres et les diacres de cette province, au- teurs des Actes du martyre de cet Apôtre, saint Pierre Damien, Ives de Chartres, saint Bernard, Baron i as et le P. Alexandre. Cependant Baillet et Tillemont ont peine à donner à ces actes une pleine autorité. L'époque de la mort de saint André est inconnue. On sait seulement qu'il subit le supplice de la croix; et celle croix , selon l'opinion la plus commune, était formée de deux pièces de bois qui se croisaient obliquement par le milieu et représentaient la lettre X. Cet Apôlre est en grande vénéra- tion chez les Russes , qui possèdent une partie des pays occupés par les anciens Scythes. La croix l'Apôtre avait consommé son martyre fut recueillie et précieusement conservée par ses disciples. Les croisés latins la retrouvèrent en Achaïe, d'où elle fut apportée en France. Sous le nom de croix de Bourgogne, elle devint l'insigne militaire de celle belliqueuse province.

Saint Philippe prêcha dans la Haute-Asie et ensuile dans la Phrygie il mourut, à Iliéraple , probablement après l'an 80 de Jésus-Christ, sans qu'on puisse néanmoins préciser ni la date, ni le genre de sa mort.

Saint Barthélémy, que plusieurs savants anciens et modernes penscnl être Nalhanaël de Cana (2) , dont Jésus avait loué l'in- nocence et la simplicité, lorsqu'il lui fut présenté par saint Philippe; saint Barthélémy annonça Jésus-Christ dans l'Armé- nie, dans l'Ethiopie , dans l'Arabie, et jusque dans les Indes, au rapport d'Eusèbe et de plusieurs auteurs anciens, qui, par les Indes , entendent quelquefois, non-seulement l'Arabie cl la

(4) Sur la liturgie de saint Jacques, ainsi que sur celles attribuées à saint Pierre et à saint Marc, voyez le Nourry, Noël Alexandre. Ba- ronius, le P. Lebrun, Bona, D. Gnéranger, etc'.

Kathanaël est un nom patronymique qui veut dire fils de Tuolo- mée. Saint Augustin range Nalhanaël seulement parmi les disciples du Sauveur.

PREMIER SIÈCLE. 41

Perse, mais les Indes proprement dites. On pense que saint Barthélémy fut martyrisé dans l'Arménie et qu'il fut attaché à une croix, après avoir eu la peau enlevée et les chairs déchirées à coups de fouet.

Saint Thomas, en grec Didyme, c'est-à-dire Jumeau, parcou- rut tous les pays soumis à l'empire des Parthes, prêcha dans la Perse, la Médie et la Bactriane. On croit même qu'il pénétra jusque dans les Indes, l'on a trouvé des chrétiens dits de saint Thomas, qui prétendaient avoir reçu de lui l'Evangile et posséder encore ses reliques. Un antique Bréviaire chaldaïque de l'église de Malabar porte en termes exprès, « que le royaume des cicux a pénétré en Chine par la prédication de saint Tho- mas. » Selon un ancien auteur, cet apôtre mourut à Calamine, dans les Indes, et plusieurs modernes ont pensé que c'était la ville de Méliapour, les Portugais affirment avoir trouvé son corps, qu'ils ont transporté à Goa.

Saint Matthieu, auparavant le publicain Lévi, écrivit son Enngu Évangile avant de quitter la Judée , vers l'an 36 de Jésus-Christ, g ^^ à ta prière des fidèles de Jérusalem. C'est pourquoi il l'écrivit en hébreu, c'est-à-dire, dans la langue vulgaire des Juifs, qui était alors un dialecte môle de chaldaïque et de syriaque. « Mat- » thieu , dit Papias, a écrit avec ordre et en dialecte hébreu les oracles du Seigneur. » Il est à présumer que ce travail im- portant retint en Judée saint Matthieu plus longtemps que les autres Apôtres. Il alla ensuite porter la foi dans l'Ethiopie et dans la Perse, l'on croit qu'il souffrit le martyre.

Saint Simon, surnommé le Cananéen ou Le Zélé (1), prêcha en Mésopotamie et dans la Perse; d'autres le font aller dans l'Egypte, la Lybie, la Mauritanie. On est peu instruit sur les particularités de sa vie et sur le genre de sa mort. Suivant quel- ques-uns, cet Apôtre serait l'époux même des noces de Cana, qui aurait suivi Jésus-Christ, pendant que son épouse s'attacha à la sainte Vierge.

Saint Jude, appelé autrement Lebbée, Thaddée ou le Zélé, prêcha aussi dans la Mésopotamie, l'Arabie, la Syrie, l'Idumée

! Coma quippe zelus interprétatif , dit S. Jérôme. Vie de Jésus- Christ, par Veuillot, p. 432.

42 cours d'histoire ecclésiastique.

et la Lybie. On prétend qu'il reçut la couronne du martyre à Béryte, vers l'an 80 de Jésus-Christ. On a de lui une Épitre canonique qu'il écrivit pour prémunir les fidèles contre les erreurs des Nicolaïtes et des Gnostiques. Il cite dans son Épître un livre apocryphe, sous le nom d'Enoch, mais sans l'approu- ver, dit saint Jérôme, comme saint Paul cite quelquefois les poètes profanes. Il a pu d'ailleurs citer un livre célèbre et estimé de son temps, pour faire impression sur les esprits et donner plus d'horreur des hérétiques contre lesquels il écri- vait.

Saint Matthias, après avoir prêché en plusieurs endroits de la Palestine, porta l'Évangile en Ethiopie, sans qu'on puisse dire de quel pays en particulier ce mot doit s'entendre, car les anciens l'appliquaient indifféremment à toutes les contrées peu connues, qui étaient au midi et hors des limites de l'empire romain. On ne sait rien de certain sur la mort de saint Mat- thias.

Voilà à peu près tout ce que l'on sait sur la mission des Apôtres. L'obscurité qui couvre les circonstances de leur vie et de leurs travaux est une preuve de plus de la sincérité de leur témoignage; car, selon la remarque judicieuse de Fleury, « rien ne prouve mieux qu'ils ne cherchaient point leur propre gloire, que le peu de soin qu'ils ont pris de conserver dans la mémoire des hommes les grandes choses qu'ils ont faites. » Au reste, si nous ignorons les détails des actions de ces conquérants do Jésus-Christ, nous n'ignorons pas leurs conquêtes, quand nous voyons le grand nombre d'Églises établies par eux en si peu de temps dans tout l'univers. La ferveur et la foi parfaitement identiques de toutes ces Églises, fondées par les Apôtres dis- persés, prouvent en même temps leur sainteté et leur infaillible véracité (1).

L'année qui suivit leur séparation, mourut l'empereur Tibère. Deux ans avant sa mort , ce prince avait reçu de Pilate les actes du procès de Jésus-Christ. Le gouverneur avait joint à sa rela- tion le récit des miracles du Sauveur, qu'il avait appris par la voix publique, ajoutant que des multitudes, convaincues de la

(1) Feller, art. Saint Jacques le Majeur. Fleury, Uist.

PREMIER SIECLE*

13

résurrection de Jésus, l'adoraient comme un Dieu. Tibère, selon l'usage, déféra l'examen des actes de Pilate au sénat qui les accueillit avec mépris. La Providence divine inclina dans un sens opposé l'esprit de l'empereur, qui alla jusqu'à menacer de mort ceux qui persécuteraient les disciples de Jésus-Christ (1).

A Tibère succéda Caligula. Au commencement de ce nouveau règne, la justice divine frappa quelques-uns des grands cou- pables qui avaient trempé dans la condamnation de Jésus-ChrisL Ainsi Pilate, accusé de concussion et de cruauté par les Samari- tains, fut exilé à Vienne dans les Gaules, l'an 37, et s'y tua de désespoir deux ans après. Selon une légende helvétique, il se serait noyé près du mont Pilate, dans le canton de Lucerne. Caïphe et Anne, humiliés et dépouillés de leur pouvoir, se suici- dèrent. — Hérode Antipas, fils du meurtrier des saints inno- cents, ravisseur d'Hérodiade, assassin de Jean-Baptiste, le même qui , à la tète de toute sa cour, s'était moqué du Sauveur, fut exilé à Lyon, l'an 39, convaincu d'avoir tramé avec les Parthes contre l'empire. Son incestueuse compagne l'y suivit; des Gaules, ils s'enfuirent en Espagne ils périrent tous deux misérablement.

Caligula ayant bientôt fatigué l'empire , à force de cruautés et d'extravagances, fut assassiné en 41. Claude, son oncle , lui succéda; mais, comme une partie du sénat voulait la répu- blique, il ne fut pas reconnu sans difficulté. Hérode Agrippa, neveu d'Antipas, étant alors à Rome, et ayant servi très-uti- lement le nouvel empereur par ses conseils et par ses intrigues auprès du sénat, Claude lui donna la Judée proprement dite et la Samarie, avec le titre de roi. La même dignité lui avait été conférée auparavant par Caligula, pour les États qui avaient appartenu à Philippe le Tétrarque et à Lysanias, et qui étaient situés au delà du Jourdain.

De retour à Jérusalem, Agrippa, pour plaire à ses nou-

(4) Ce fait est rapporté par saint Justin, Tertullien, Eusèbe. Quel- ques critiques protestants, plus hardis que savants et judicieux, dit Receveur, l'ont contesté. Mais d'aulres, parmi lesquels on distingue Ca.-aubcn et Péarson, n'ont pas fait difficulté de l'admettre. Tillemont, le célèbre Huet, Noël Alexandre et une foule d'autres auteurs ne croient pas qu'on en puisse douter.

.Mort de Tibvre. Calcula.

Fin malheu- reuse

de Pilate et d' Hérode

Antipas.

An~39.

Persécution à Jérusalem. S. Jacques le Majeur. Emprisonne- ment de S. Pierre.

AuU.

M

COURS D HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

Mort du roi Agrippa.

An M.

S. Tierce établit son

liégc à Rome. Preuves de ce fait.

An 42 ou 44.

veaux sujets, mit toute sa puissance au service de leur haine contre les chrétiens. Pour premier coup d'essai, il fit tomber la tête d'un Apôtre, de saint Jacques le Majeur, ce que la Syna- gogue, malgré toute sa fureur, n'avait pas osé faire depuis onze ans. Au bruit de ce nouvel orage, Pierre vole au secours des fidèles de Jérusalem , que la mort de saint Jacques avait conster- nés. Agrippa le fit arrêter et mettre en prison, résolu de le faire périr à son tour; mais un ange délivra pendant la nuit le chef de l'Eglise, et le rendit aux fidèles qui priaient pour lui. Ils furent si surpris de ce bonheur inespéré, qu'ils ne reconnurent pas d'abord le saint Apôtre et le prirent pour son ange gar- dien (1).

Un tyran dont la hache s'attachait ainsi à frapper les pre- mières tètes de l'Eglise lui aurait fait trop de mal : Dieu l'arrêta. Un jour qu'Agrippa donnait une audience solennelle aux ambas- sadeurs des Tyriens et des Sidoniens, il s'assit sur un trône magnifique, revêtu lui-même d'un manteau étincelant d'or et de pierreries , et se mit à haranguer le peuple. Pendant qu'il par- lait , ses flatteurs s'écrièrent : « C'est la voix d'un Dieu et non d'un homme! » Agrippa souffrit celte impiété; mais un ange du Seigneur le frappa sur-le-champ : il fut saisi de douleurs vio- lentes , et la honte succédant à la vanité, il dit à ses flatteurs : « Voilà votre dieu qui va expirer ! » On le porta dans son palais, il expira en effet au bout de cinq jours, dévoré par les vers.

Après sa délivrance (2) , saint Pierre établit pour son succes- seur, à Antioche, saint Evode, l'un de ses disciples (3), et il marcha lui-même, avec Marc, son secrétaire , vers le cœur de l'empire, à Rome, il fixa son siège pour toujours. Comme un général intrépide, quand la bataille est commencée, lance quel- quefois son drapeau au milieu des rangs ennemis pour enflam- mer ses soldats , ainsi le chef de l'Eglise, voyant la grande lutte

(l)Illi autem dicebant : Angélus ejusest. (Act. Apost., c. M, v. 15.)

(2) Plusieurs auteurs disent que saint Pierre était allé à Rome avant sa prison, et qu'il y retourna bientôt après ; ce qui fait que tes uns placent ce voyage en 42, d'autres en 44, quelques-uns même, comme I). Geillier, le fixent en 58. (Receveur.)

(3) Niceph., Hist. eccl., 1. 2, c. 25. Théodoret. Trad. de l'Egl.

PREMIER SIÈCLE. 45

de la foi contre le paganisme vigoureusement engagée, alla plan- ter lui-même l'étendard de la Croix au centre de l'idolâtrie. « C'est ainsi, dit saint Léon le Grand, qu'un pauvre batelier, dont le courage n'avait pu tenir devant une simple servante, alla braver en face la toute-puissance des Césars. »

Ce fait important et d'une hardiesse évidemment surnaturelle, a toute la certitude historique possible. La tradition entière l'af- firme par la double voix des hommes et des monuments. Il est attesté : au premier siècle, par saint Papias, saint Clément pape, et saint Ignace d'Antioche; au deuxième par saint Denys, évèque de Corinthe, saint Irénée (Liv. 3, c. 3), saint Justin, dans sa grande Apologie; au troisième, par Clément d'Alexan- drie, Terlullien (Lib. de prœscript.) , Origène, saint Cyprien (Epist. ad Comel. papam); au quatrième, par Arnbbe, saint Epiphane (Hœres. 27), Eusèbe (Liv. 2, c. 14,15,25,26; Liv. 3, c. 2: Liv. 4, c. 1; Démonst. évangél., 3, 5), saint Chrysostome (Tom. V, in Timoth.), saint Ambroise (Serm. de, Basil.); au cinquième, par saint Jérôme (Epist. ad Marc), saint Augustin (Lib. de hœres.), saint Optât (Ad Parm.), Orose (Liv. 7, c. 1), Théodoret (Liv. 2, c. 27), etc. La venue de saint Pierre à Rome, dit Baronius, est attestée par l'unanimité des écrivains ecclésiastiques , dans les deux églises Grecque et Latine.

Au deuxième siècle, Caïus, prêtre de Rome sous le pape Zé- phirin, rapporte que les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul étaient exposés aux yeux de tout le monde. Julien l'A- postat raconte qu'avant la mort de saint Jean , les corps de ces deux Apôtres étaient déjà honorés en secret parmi les chrétiens. Depuis les premiers siècles jusqu'à nous, cette vénération et ce concours des fidèles se sont maintenus avec ce caractère de perpétuité et d'universalité, qui est comme le sceau incommuni- cable de la vérité. De plus, l'établissement du siège de saint Pierre à Rome a été de temps immémorial célébré dans l'Eglise par une fête spéciale. Les plus anciens Martyrologes en font foi ; et un concile tenu à Tours, en 567, travailla à remédier aux abus qui s'y étaient glissés. Belelh, théologien de Paris, qui écrivait il y a 500 ans, dit qu'elle avait été instituée pour dé- tourner les chrétiens d'imiter les idolâtres, qui, à certains jours du mois de février, mettaient des viandes sur les tombeaux de

46 cours d'histoire ecclésiastique.

leurs parents. Ce dernier témoignage, surtout, fait évidemment remonter cette fête aux premiers^ours du Christianisme.

Du reste, aucune secte ancienne n'a nié ce point historique si important. Parmi les modernes , quelques protestants l'ont at- taqué; mais les savants les plus recommandables de la Réforme sont d'accord à cet égard avec toute l'histoire, t Nous avons, dit le baron de Starck, pour la primatie de l'épiscopat de saint Pierre à Rome, le témoignage de toute l'antiquité chrétienne, depuis Papias et Irénée, qui vivaient tous deux dans le second siècle de l'Eglise, et dont le premier était un disciple de saint Jean l'E- vangéliste. » Basnage dit qu'aucune tradition n'a plus de té- moignages en sa faveur, et qu'on ne peut en douter sans ren- verser toute certitude historique. Péarson assure qu'aucun des anciens n'a révoqué en doute la fondation de l'Eglise romaine par saint Pierre, ni la succession des papes à cet Apôtre. Puffendorf , dans son Livre de la monarchie du pon- tife de Rome, Grotius , dans ses Lettres, s'expriment hautement en faveur de la primatie de l'Eglise romaine, de sa hiérarchie et de sa succession épiscopale : vérité si incontestable, du reste, que, ni Luther, ni Calvin, ni les centuriateurs de Magdebourg, n'ont essayé de l'attaquer. Calvin déclare qu'il n'ose nier que saint Pierre soit mort à Rome, « à cause du consentement des auteurs, » propter scriptorum consensum. Leibnitz, Ham- mond, Scaliger, Newton, Blondel, Barratier, Bertholt, Cave, Shrock, William Cobbett, etc., se sont aussi prononcés, sur le voyage de saint Pierre à Rome, que les plus ardents catholiques. « Il faut avoir perdu le sens commun , dit le savant allemand Léandre , pour rejeter le témoignage unanime de l'antiquité ec- clésiastique, et ne pas admettre que saint Pierre ait été à Rome (1). » origine Rome était la capitale du monde , en particulier de l'Occident :

des trois pre- pierre y place sa chaire , « pour paître de les agneaux et les

patriarcats.

(1) Nicolas, Etitd. philos., tom. I. Hist. de l'infaillib. des papes, tom. I, p. 440-427. Gorini, tom. II, p. 410-449. John Mac- corry , Suprématie de saint Pierre. Calvin , Instit., I. 4, c. 6. Ni- hil in tôta \storid ecclesiasticd illustrius, nihil certius atque testatius quam ad% \s Pétri Apostoli in urbem Romam. (De Valois, n. in Eus. i

PREMIER SIÈCLE. 47

brebis de Jésus-Christ. » Antioche , surnommée la grande, pour la distinguer de ses homonymes , au nombre de dix ou douze, était la capitale de l'Orient : Pierre y avait porté son siège. Alexandrie était la capitale de l'Egypte et du Midi : de Rome, Pierre y envoya Marc, son disciple , vers l'an 60, pour y fonder une Eglise en son nom (1). Rome, Antioche et Alexan- drie étaient en quelque sorte , dit M. Jager, les trois métropoles du Polythéisme; chacune d'elles avait un panthéon. Le chef des Apôtres commence par y planter l'étendard sacré; il va ainsi droit à l'ennemi et le frappe au cœur. Chacune de ces trois grandes cités était placée au centre du mouvement intellectuel et commercial de la partie du monde à laquelle elle présidait. Toutes les trois néanmoins étaient à la portée de se parler sou- vent , de recevoir ou de donner promptement leurs ordres, étant assises toutes les trois sur les bords de la voie commune et de la voie la plus rapide de communication entre les peuples , sur les bords de la mer, et encore sur les bords de la même mer, de cette mer qui n'est qu'un lac comparée à l'immense Océan. Sous les rapports géographiques, politiques et religieux, il était donc difficile d'imaginer une meilleure disposition des patriar- cats. — Les Eglises de ces trois grandes capitales de l'univers alors connu, furent appelées suréminemment patriarcales et apostoliques, à cause de la suréminente dignité de Pierre. Gela est si constant, qu'au cinquième siècle, un empereur et un concile œcuménique, celui de Chalcédoine, voulant procurer la dignité de patriarche à l'évèque de la nouvelle Rome ou de Constantinople, la demandèrent en ces termes au successeur de Pierre. « Daignez répandre jusque sur l'Eglise de Constanti- nople les rayons de votre primauté apostolique. » Ce qui fait voir que , dans la pensée de l'Eglise , le patriarcat n'est qu'un écoulement de la primauté de Pierre, dont la plénitude réside dans le siège de Rome (2).

(1) Alexandrie Marcum praefecit Petrus. (Nicéph. Félix. Théodoret.j

(2) Suffit-il à une Eglise d'être fondée par Pierre pour être patriar- cale ? Non. « Il faut, dit Thomassin, que Pierre ait voulu y » établir d'une manière spéciale la prééminence de son trône. » [De la discipline, Uv. 4, c. 3, n. 2.)

4*

COURS D HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

Evangile de S. Marr .

Vers l'an 45.

Première Epltre

Vers l'an 45.

Saint Marc, après avoir fait des conversions innombrables à Alexandrie, y termina sa vie par le martyre, l'an 62 ou 68 de l'ère chrétienne. Mais auparavant, et pendant son séjour à. Rome, vers l'an 45, il avait composé son Evangile, à la prière des fidèles , qui voulaient conserver par écrit ce que saint Pierre avait enseigné de vive voix. Voici, à ce sujet, ce que dit Papias, qui le tenait lui-même d'un ancien, ou d'un des prêtres qu'il regardait comme ses maîtres , et qui , appartenant à une géné- ration antérieure , avait pu voir ou même avait vu les Apôtres et vécu avec eux : « Marc étant interprèle de Pierre, a écrit » avec soin ce qu'il tenait de lui, et qu'il conservait dans sa » mémoire; à cause de cela, il n'a pas écrit dans l'ordre il a » eu lieu , ce que le Christ a dit ou a fait; car il n'a pas entendu » le Seigneur, et il ne l'a pas suivi comme son disciple. Mais » plus tard, il s'attacha à Pierre, qui donnait son enseignement » selon l'utilité des auditeurs, et non dans la pensée de faire » une histoire suivie des oracles du Seigneur. » Saint Marc écrivit très-probablement son Evangile en grec, qui était la langue la plus répandue et d'un si grand usage alors, à Rome même, que les femmes l'y parlaient avec facilité. Saint Pierre revit l'ouvrage et lui donna son approbation; c'est pourquoi plusieurs Pères l'ont attribué à cet Apôtre. La profonde hu- milité du chef de l'Eglise s'y fait remarquer en plusieurs endroits : ainsi l'éloge que Jésus-Christ fit de saint Pierre ne s'y trouve pas; son triple reniement, au contraire, y est très- détaillé, etc.

Dans le même temps , saint Marc rédigea aussi, ou du moins traduisit du grec en latin, la première Epitre de saint Pierre, adressés aux fidèles dispersés dans le Pont, la Galalie, la Bithy- nie, la Cappadoce , il avait fondé plusieurs Eglises. Rome y est nommée Rabylone (1), comme étant le centre de l'idolâtrie. Cette Epitre renferme une vive exhortation à la sainteté , et les règles les plus importantes de la morale chrétienne , exprimées, dit le protestant Grotius , d'une manière digne du Prince des

(4) Toute l'antiquité chrétienne , par Babylone, a entendu la ville de Rome : saint Jean, dans son Apocalypse, Tertullien, Eusèbe, saint Jérôme , saint Augustin , etc., etc.

PREMIER SIÈCLE.

49

Apôtres. Son langage, en effet, est celui du chef des pasteurs : « Faites, dit-il aux évoques et aux prêtres, faites paître le trou- peau de Dieu dont vous êtes chargés, veillant sur sa conduite, non par une nécessité forcée , mais par une affection toute volon- taire qui soit selon Dieu; non par un honteux désir du gain, mais par une charité désintéressée; non en dominant sur l'héri- tage du Seigneur, mais en vous rendant le modèle du troupeau par une vertu qui naisse du cœur, et lorsque le Prince des pas- teurs paraîtra, vous remporterez dans la gloire une couronne qui ne se flétrira jamais. »

Pendant que saint Pierre plantait la croix à Rome , Saul , Barnabe et plusieurs autres disciples prêchaient à Antioche et dans les environs (1). Un jour qu'ils étaient tous réunis pour la célébration des divins mystères, le Saint-Esprit leur dit : « Séparez-moi Saul et Barnabe pour l'œuvre à laquelle je les destine. » On jeûna, on se mit en prières, on leur imposa les mains (2), et on les envoya l'Esprit de Dieu les appelait. Saul, regardé jusque-là comme le simple coopérateur de Bar- nabe, eut dès lors le premier rang, ayant été nommé le pre- mier par la voix céleste, qui le déclarait ainsi le chef de la mission des Gentils. Pour l'encourager et le soutenir dans la pénible carrière qui s'ouvrait devant lui , le Seigneur le ravit au troisième ciel; mais, de peur que cette révélation ne devint pour lui un sujet d'orgueil, il fut assujéti à de rudes tentations.

Ainsi divinement préparé, « le sublime Paul, dit saint Jé- rôme, s'élança en conquérant et sillonna la terre : imitant son Maître, le divin Soleil de justice , dont il est écrit : d'un bond il vole d'une extrémité du ciel à l'autre (3). » Accompagné de

Mission

de Paul et de

Barnabe.

Conversion

du proconsul

Sergina

Pau lus.

(1) C'est à Antioche, et vers cette époque (de 41 à 43), que les disciples de Jésus-Christ , acceptant avec joie une moquerie popu- laire, prirent le nom de chrétiens. (Berg., art. Chrétiens.) Vie de JcsuS'Christ, par Veuillot, p. 462.

(2) Plusieurs auteurs pensent que Saul et Barnabe furent ordon- nés évoques par cette imposition des mains; mais Arias Montanus, Cajetan <;t Suarez croient que cette cérémonie ne fut qu'une simple prière : Tantum precatoriam, non ordinativam.

;aint Jean. Chrysostorao dit : quasi pennat us totum peragravit wbem.

Cours d'histoire. 4

50 cours d'histoire ecclésiastique.

Barnabe et de Jean, surnommé Marc, différent de l'Evangéliste, le grand Apôtre se dirigea d'abord vers l'Ile de Chypre, qui avait alors pour gouverneur le proconsul Sergius Paulus , homme sage et prudent. Désireux d'entendre la parole de Dieu, il envoya chercher Saul et Barnabe. Mais, il avait auprès de lui un Juif magicien et faux prophète, nommé Barjésu, qui s'op- posait aux Apôtres et mettait tout en œuvre pour empêcher le pronconsul d'embrasser la foi. D'un mot , Saul le frappa de cécité : Eris cœcus, lui dit-il, et à l'instant même, le ma- gicien ne vit plus rien et fut obligé de se faire emmener par la main: Vaincu par ce miracle, le proconsul se convertit. Dès ce moment, l'Ecriture donne toujours à Saul le nom de Paul : soit qu'il l'ait pris du proconsul , comme un monument de sa conquête spirituelle, soit que, dès le commencement, il ait eu deux noms : l'un hébreu , comme Juif de naissance; l'autre latin, en sa qualité de citoyen romain , et qu'il ait adopté ce dernier en allant prêcher aux Gentils. Paul De Chypre , passant par Perge et Icône , ils eurent beau-

coup à souffrir, Paul et Barnabe vinrent à Lystre. Là, parmi des dieu'x, ses auditeurs , Paul remarqua un homme perclus des jambes de^Tsmi- depuis sa naissance; tout à coup, au milieu de son discours, racles. l'Apôtre s'arrête et lui dit d'une voix forte : c Levez-vous et tenez-vous droit sur vos pieds! » Aussitôt le boiteux se leva en sautant et se mit à marcher. Le peuple idolâtre émerveillé s'écria : « Ce sont des dieux déguisés sous une forme hu- maine! » Barnabe étant plus âgé et d'une taille plus avanta- geuse , fut pris pour Jupiter ; Paul , qui portait toujours la parole et qui prêchait avec une grande éloquence , passa pour Mercure , l'interprète du maître des dieux. Le prêtre de Jupiter accourut , portant des couronnes , et amenant des taureaux pour les immoler en leur honneur. A cette vue, les deux Apôtres dé- chirent leurs habits et s'élancent au milieu de la foule en criant : « Hommes , qu'allez-vous faire ? Nous sommes des mortels comme vous; nous venons vous presser de quitter ces vaines superstitions, pour vous convertir au Dieu vivant, Créa- teur du ciel et de la terre. » Ils eurent bien de la peine à les arrêter. Il survint alors d'Antioche et d'Icône des émis- saires de la Synagogue , qui persuadèrent au peuple que les

et Barnabe •ont pris pour

PREMIER SIÈCLE.

51

Apôtres étaient des imposteurs : Paul fut accablé de pierres , traîné hors de la ville et laissé pour mort. Mais, revenu à lui, il partit le lendemain pour Derbe; puis, retournant sur ses pas avec Barnabe, ils visitèrent de nouveau les villes qu'ils avaient évangélisées , fortifiant partout le courage des disciples , et ils rentrèrent à Antioche. Cette course apostolique avait duré deux ou trois ans.

Depuis lors jusqu'au concile de Jérusalem, c'est-à-dire, pen- dant quatre ou cinq ans, Paul et Barnabe demeurèrent à An- tioche, et l'Ecriture ne dit rien de leur prédication durant tout cet intervalle (1). Quelques chrétiens, venus de Jérusalem, s'é- tant mis à enseigner qu'on ne pouvait être sauvé sans la circon- cision et l'observation des cérémonies légales, saint Paul et saint Barnabe s'opposèrent fortement à cette doctrine. Mais comme la division continuait, on convint qu'ils iraient tous les deux à Jé- rusalem , avec quelques-uns du parti contraire , pour faire déci- der cette question d'une manière solennelle par les Apôtres : car le chef de l'Eglise, revenu de ses missions lointaines, se trouvait alors dans la capitale de la. Judée (2).

Paul, dit saint Jean Ghrysostome, aurait bien pu décider la question par son autorité seule, ayant reçu du Saint-Esprit tous les dons et privilèges de l'apostolat, confirmés par de nombreux miracles; mais comme les Juifs ne l'aimaient pas et le croyaient trop prévenu en faveur des Gentils, il voulut invoquer le juge- ment des Apôtres et de leur chef, afin que sa prédication trouvât moins d'obstacles, après cette décision solennelle. C'est ce qui a fait dire à Tertullien que la raison de la réunion du concile de Jérusalem fut un motif de haute convenance et de grande utilité : ut non videatur unaquœque perversitas non examinata, sed prœjudicata damnari (3).

Discussion à Antioch»

sur les

observance

légales.

De 46 à 50.

(<) Quelques auteurs ont cru qu'il fallait rapporter à cette époque ce que saint Paul dit dans son Epîtreaux Romains (c. 15), qu'il porta l'Evangile jusqu'en Illyrie, dans les lieux Jésus-Christ n'avait point encore été annoncé. (Receveur, tom. I.)

(2) On présume que saint Pierre avait quitté Rome, à cause d'un édit de Claude qui en chassait les Juifs, que l'on confondait souvent alors avec les chrétiens.

(3) Paulus ab initio quid esset agendum perspexerat , nec opus ha-

1

Ad 50 ou 51.

82 COURS D HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

Concile Arrivé à Jérusalem, on voulut lui faire circoncire Tite, son

jénisaiem. disciple, qui était gentil d'origine; mais par même qu'on lui en faisait un devoir, Paul s'y refusa et tint ferme pour la sainte liberté de l'Evangile. Les Apôtres s'assemblèrent donc pour juger cette question. Ce fut le premier concile qui se tint dans l'Eglise. Il y avait trois Apôtres : Pierre, Jacques, évoque de Jérusalem, et Paul. Barnabe, dit dom Guéranger, n'est qu'im- proprement nommé Apôtre. On y avait aussi appelé quelques-uns des anciens disciples (1); « non que tous eussent également le droit de décider, dit Fleury, mais comme pouvant éclairer l'exa- men , en rapportant ce qu'ils avaient appris , ou des Apôtres ab- sents ou de Jésus-Christ lui-même. » Après que l'on eut agité la question, saint Pierre se leva le premier, prit la parole et dit : « Mes frères , vous savez que Dieu m'a choisi depuis longtemps pour faire entendre l'Evangile aux Gentils par ma bouche , et Lui, qui connaît les cœurs, a rendu témoignage à leur foi, en leur donnant le Saint-Esprit comme à nous. Pourquoi donc maintenant voulez-vous imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu porter? » Quand il eut fini, saint Paul et saint Barnabe racontèrent ce qu'ils avaient fait parmi les Gentils, et les nombreux miracles qui avaient confirmé leur prédication.

Saint Jacques, prenant à son tour la parole, montra que le jugement de saint Pierre était conforme aux Ecritures, et porla le sien en ces termes : c C'est pourquoi je juge que l'on ne doit point inquiéter les Gentils convertis, mais leur écrire seulement qu'ils s'abstiennent des choses offertes aux idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang. » Toute l'assemblée se prononça de même, et résolut d'envoyer à

bebat utlo doctore Ascendit Jerosolymam non sui ipsius causa sed

fratrum. S. Chryst., Comment, in cap. 4. Epist. Gai. Étud. relig. décemb. 1869, p. 943.

(< ) Le mot presbyter ou senior, que nous traduisons par ancien, signifie également évoque ou prêtre ; c'est du moins l'interprétation commune des Pères et des théologiens. Le nom de prêtre, dit un savant commentateur des Epitres pastorales de saint Paul,M8rl'é- vèquo de Grenoble , était originairement commun aux évoques et aux prêtres. [Epitre à Tite, c. 4, v. 7.)

PREMIER SIÈCLE. 53

Antioche, avec Paul et Barnabe, deux des principaux disciples, afin de notifier la décision. Comment après cela, M. Dœllinger a-t-il osé dire que le décret du synode ne fut pas formulé confor- mément au vote de saint Pierre, mais d'après celui de saint Jacques? Le livre des Actes est entre les mains de tout le monde, et chacun peut constater la plus parfaite identité de sentiment entre les deux Apôtres. On choisit ensuite Silas et Jude, sur- nommé Barsabas, pour porter, de la part du concile, une lettre qui contenait le jugement suivant : « Il a semblé bon au Saint- Esprit et à nous, de ne point vous imposer d'autres charges que celles-ci, qui sont nécessaires, savoir : de vous abstenir des viandes immolées aux idoles, des animaux étouffés, du sang et de la fornication; gardez-vous de ces choses et vous ferez bien. Adieu. »

On crut devoir avertir les païens que la fornication était défendue , parce que le sens moral était tellement éteint chez eux, que la plupart la regardaient comme une action indiffé- rente. Les lois civiles ne condamnaient que l'adultère et per- mettaient d'entretenir des concubines; déplus, chacun pouvait user de ses esclaves comme il lui plaisait. La défense de prendre part aux repas des sacrifices était nécessaire pour pré- venir les scandales , et préserver les nouveaux chrétiens d'une rechute dans le Paganisme. Quant à la prohibition du sang et de la chair des animaux étouffés, elle remontait plus haut que la loi de Moïse, puisqu'elle avait été faite à Noé au sortir de l'arche (1) ; ainsi elle semblait regarder toutes les nations. Il est donc à croire que les Apôtres voulurent laisser subsister cette observance légale, parce qu'elle était propre à concilier les Juifs avec les Gentils : ad hoc quod posset coaiescere unio Gentilium et Judœorum in simul habitantium , dit saint Tho- mas. — « Il convenait aussi, dit saint Augustin, d'accorder

(1) Une des causes qui amenèrent le déluge paraît avoir été la fé- rocité et le meurtre. Afin d'en détourner les hommes après le déluge, Dieu prit tous les moyens pour leur inspirer l'horreur du sang. L'habitude de boire le sang des animaux , dit Bergier, porte l'homme à la cruauté. (Rohrb., t. I et IV. S. Thomas, 1* 2*,qu3est. 403, art. 4, ad 3. Bergier, art, Abstin.)

u

COURS d'hïstoïrk ecclésiastique.

Voie d'autorité

consacrée

au

concile

de

Jérusalem.

Remontrance de S. Paul à

S. Pierre

au sujet des

observances

légales.

quelque chose à la Synagogue , mère de la loi nouvelle, et de l'enterrer avec quelque honneur. »

Ainsi fut terminée la question des observances légales; ainsi fut conclu le premier concile qui servit de modèle aux siècles suivants. Une grande contestation s'élève entre les fidèles , aus- sitôt elle est portée au lieu se trouvait Pierre avec quelques- uns de ses collègues. Ils s'assemblent avec les anciens disciples : on délibère à loisir; chacun dit son avis; on décide. Saint Pierre préside l'assemblée et en fait l'ouverture; il propose la question et dit le premier son avis. Mais il n'est pas seul juge, saint Jacques juge aussi. La décision est fondée sur les Ecri- tures. On la rédige par écrit, non comme un jugement humain, mais comme un oracle du ciel , et on dit avec confiance : c II a semblé bon au Saint-Esprit et à nous. » On envoie cette déci- sion aux Eglises particulières , non pour être examinée , mais pour être reçue et exécutée avec une entière soumission. Ainsi la méthode d'autorité se révèle, dès le commencement de l'Eglise; ainsi on voit un gouvernement organisé, agissant dans les choses spirituelles , avec les trois formes : judiciaire , législative et executive; ainsi on ouvrit à Jérusalem la marche que l'Eglise catholique seule a toujours suivie , et dont elle ne s'écartera jamais.

L'assemblée finie, Paul et Barnabe retournèrent à Antioche, emmenant avec eux Jude et Silas , porteurs de la lettre du con- cile. Saint Pierre y vint aussi et y passa quelque temps. Le Prince des Apôtres savait parfaitement, il venait de le décider lui-même, que les observances légales n'étaient pas d'obliga- tion. Aussi ne faisait-il aucune difficulté de vivre et de manger avec les Gentils. Mais, quelques Juifs étant arrivés de Jéru- salem à Antioche, l'Apôtre craignit de les blesser en ne tenant aucun compte des observances légales. Il y revint donc , et Barnabe lui-même suivit son exemple. Cette conduite blessa le cœur de Paul, si plein de sollicitude pour les Gentils; crai- gnant que ces ménagements ne fissent renaître les disputes précédentes, il ne balança pas à reprendre publiquement saint Pierre. Il lui dit donc, en présence de tous : « Si vous, qui êtes Juif, vivez souvent à la manière des Gentils et non à celle des Juifs , pourquoi maintenant contraignez-vous par votre exemple

PREMIER SIÈCLE. 55

les Gentils à judaïser? » Saint Pierre reçut cette observation avec humilité , et cessa de montrer pour la faiblesse et les pré- jugés des Juifs un excès de bonté et de ménagement qui pouvait devenir dangereux (1).

Il n'y avait ni erreur de doctrine, ni faute, du moins grave, dans la conduite de saint Pierre , et on conçoit facilement qu'il n'ait pas prévu les inconvénients d'une action indifférente en elle-même (2), aussi bien que saint Paul, qui avait assisté aux disputes des Juifs contre les Gentils, et qui pouvait ainsi mieux apprécier les dispositions et les besoins des uns et des autres. C'était évidemment une simple question d'opportunité et de convenance, non de foi. Aussi, Paul lui-même, un peu plus tard, astreignit son disciple Timothée à la circoncision par dé- férence et ménagement pour les Juifs. Ainsi, tous les deux savaient également se « faire Juifs avec les Juifs pour les gagner à Jésus-Christ. » L'Apôtre des nations ne reprocha donc à son chef et à son frère qu'un acte de bonté et de condescen- dance qu'il jugeait alors inopportun. Or, plusieurs fois, de- puis , il est arrivé à de saints évoques, et même à de simples fidèles , de parler aux papes avec une sainte liberté : tels saint Bernard devant Eugène III , sainte Catherine de Sienne devant Grégoire XI, etc. Je ne veux pas entrer, dit un savant reli- gieux, dans la question controversée de savoir si le Céphas à qui saint Paul résista dans cette occasion, était réellement saint

(1) Saint Augustin place ce fait. avant le concile de Jérusalem; mais le sentiment le plus probable, dit Receveur, le met après.

(2) Presque tous les théologiens conviennent que l'ancienne loi , dans sa partie cérémonielle, ne devint illicite qu'après la ruine du temple et la destruction de la Synagogue , arrivées vers l'an 40 après la mort de Jésus-Christ. Jusque-là, l'observation de la loi n'était donc ni obligatoire ni illicite pour les chrétiens circoncis; ils étaient libres de la garder ou non. « La loi de Moïse, dit saint Augus- » tin, morte le jour de la Pentecôte, ne devint mortifère qu'après la » ruine de Jérusalem. Jusque-là les Juifs convertis pouvaient l'obser- » ver. » Aux époques de transition, il n'y a jamais rupture subite et tranchée entre ce qui précède et ce qui suit. « Pierre n'a point » péché en reprenant pour un temps les observances légales , dit saint «Thomas, parce qu'étant d'origine juive, cela lui était permis. » 4a 2* ,quest. 103. art. 3. ad î.

56 cours d'histoire ecclésiastique.

Pierre lui-même; j'adopte volontiers le sentiment presque una- nime de l'antiquité, qui voit Pierre dans Céphas; mais aussi, avec l'antiquité, je vois simplement, dans ce fait, une précau- tion toute paternelle de charité que prend le pasteur suprême , afin de ne pas blesser l'Eglise d'Antioche, qui était presque entièrement composée de chrétiens sortis du Judaïsme. » « Pierre ne manqua point dans la foi, dit Bossuet, mais il fallait que dans un pontife aussi éminent , les pontifes ses successeurs apprissent à prêter l'oreille à leurs inférieurs, lorsque beaucoup plus moindres que saint Paul , et dans de moindres sujets , ils leur parleraient avec le même dessein de pacifier l'Eglise. Avec saint Cyprien , saint Augustin et les autres Pères , admi- rons, dans l'humilité, l'ornement le plus nécessaire des grandes places; il y a quelque chose de plus vénérable dans la modestie que dans tous les autres dons; saint Pierre qui se corrige est plus grand, s'il se peut, que Paul qui le reprend. » « L'hu- milité de Pierre et l'apostolique ardeur de Paul sont toutes deux admirables , dit saint Augustin ; mais Pierre , qui lègue à la postérité ce rare exemple d'un supérieur qui se laisse frater- nellement reprendre par son inférieur, est plus grand dans sa modestie que Paul dans son zèle intrépide. »

Quand le calme fut rétabli à Antioche, saint Pierre revint en Occident qui fut dès lors le théâtre le plus ordinaire de ses travaux. Toutefois , l'histoire nous a transmis peu de détails sur ses prédications depuis ce moment jusqu'à sa mort. Le chef de l'Eglise ne retourna pas alors à Rome, parce que l'édit de l'empereur Claude contre les Juifs y était toujours en vi- gueur. Séparation A cette même époque, Paul dit à Barnabe: t Retournons ée Paul et de y^n^ nos frères dans toutes les villes que nous avons évamré-

Barnabé. n

Usées, pour voir en quel état ils sont. » Barnabe était tout dis- An51, posé à le suivre, mais il voulait emmener avec lui Jean Marc, son parent, qui, dans leur première mission, les avait aban- donnés en Pamphylie. Paul, qui exigeait une constance et un courage inébranlables dans un ouvrier évangélique, fut d'un avis contraire; et chacun d'eux croyant son sentiment préfé- rable, ils se séparèrent. Dieu le permit ainsi pour une plus rapide propagation de l'Evangile. Saint Barnabe prit Mure

PREMIER SIÈCLE.

r>-

avec lui et alla en Chypre sa patrie, il souffrit le martyre, suivant la plus commune opinion (1). Saint Chrysostome dit qu'il parvint à une extrême vieillesse. Son corps fut miraculeu- sement découvert près de la ville de Salamine, l'an 488, sous le règne de l'empereur Zenon. On trouva sur sa poitrine l'Evangile de saint Malthieu, qu'il avait écrit de sa propre main. Ce pré- cieux autographe fut envoyé à l'empereur Zenon. L'Eglise de Milan, s'appuyant sur une ancienne tradition, regarde et honore saint Barnabe comme son fondateur. Saint Charles Bor- romée l'appelle, dans un de ses sermons, Apôtre de Milan. ^ous avons en grec une lettre célèbre attribuée à cet Apôtre par Clément d'Alexandrie, Origène, saint Jérôme, Eusèbe, le doc- teur Cave , Lardner, Cotelier et plusieurs autres savants. Tillemont , il est vrai, croit qu'elle n'est pas de lui, mais Ber- gier ne trouve pas convaincantes les raisons de ce critique. Tous s'accordent à la regarder comme une production du siècle des Apôtres. L'épitre de saint Barnabe est adressée aux Juifs convertis. On y trouve le passage suivant sur la divinité de Jésus-Christ : « Les prophètes sont ses prophètes, non pas seulement parce qu'ils l'ont annoncé, mais aussi parce qu'ils ont reçu de Lui le don de prophétie. C'est à Lui que Dieu a dit avant la parfaite consommation de l'univers : Faisons l'homme à noire image et à notre ressemblance. » L'épitre de saint Barnabe n'a jamais été regardée comme canonique, et le saint lui-même ne porte pas le titre d'Apôtre dans le sens rigoureux du mot.

Paul, de son côté, prit avec lui Silas et Luc. Ce dernier est l'auteur des Actes des Apôtres et de l'Evangile qui porte son nom. Celait un médecin d'Antioche, homme d'un esprit cul- tivé. Quelques-uns assurent, mais sans citer aucun témoignage des anciens, qu'il était peintre, et avait laissé de sa main des portraits de Jésus-Christ et de la sainte Vierge. Nous possédons aujourd'hui , dit M. barras, des témoignages qui rendent la

Epltre et mort de S. Barnabe.

Mission» de S. Paul

avec Lac et SiU*.

! Jean Marc devint , dans la suite , un modèle de ferveur. S. Paul en parle fort honorablement dans son Epltre aux Colossiens, c. 4, v. 10-1 i , et dans la seconde à Timotlie'e, c. 4, v. H. Jean Marc finit sa course aposlolique à Bibïifi en Phéoieie, et il est nommé, dans le Martyrologe romain, sous le 27 de septembre.

58 cours d'histoire ecclésiastiqub.

chose historique. Dès que Luc se fut mis à la suite de l'A- pôtre des natrons, ni les fatigues ni les périls ne purent ébran- ler son zèle et sa constance. Il fut à Paul ce que Marc était à Pierre.

Semblable à une nuée divine poussée parle vent de la charité, saint Paul, accompagné de Luc et de Silas, continua à parcou- rir l'univers pour y répandre la pluie vivifiante de la parole sainte. Il alla d'abord à Derbe, puisàLystre, il rencontra un disciple, nommé Timothée, dont tout le monde lui rendit un excellent témoignage. Il le prit avec lui et ne fit pas difficulté de le circoncire , pour se rendre plus agréable aux Juifs , dans les synagogues desquels il avait coutume d'ouvrir ses missions : preuve évidente que cet Apôtre, comme saint Pierre , se prêtait aux observances légales , quand il y voyait quelque avantage pour la foi. s. Pani De Lystre, l'Apôtre se rendit à Philippes, colonie romaine.

àPiuhppes. j^ il gUérit une jeune esclave possédée du démon. Les maîtres An 52. de cette fille, spéculant sur sa triste position, portèrent plainte aux magistrats qui firent battre de verges Paul et ses compa- gnons, et les emprisonnèrent. Mais à minuit, un tremblement de terre ébranla la prison jusque dans ses fondements, les portes s'ouvrirent, les chaînes des prisonniers tombèrent à leurs pieds, et le geôlier, converti et baptisé par eux, lava leurs plaies et leur servit à manger. Le lendemain , des licteurs vinrent à la prison , avec ordre de les mettre en liberté. Mais saint Paul , ju- geant qu'il était utile, pour la sécurité des fidèles, d'intimider les magistrats et de montrer qu'il obtenait une réparation et non pas une grâce, répondit aux licteurs : « On nous a publique- ment battus de verges sans que nous ayons été jugés; on nous a emprisonnés, nous, citoyens romains; et maintenant on nous fait sortir en secret ! Il n'en sera pas ainsi , qu'ils viennent et nous délivrant eux-mêmes. » Les magistrats ayant appris qu'ils étaient citoyens romains, eurent peur; ils vinrent faire leurs excuses aux prisonniers , et les prièrent de se retirer de la ville. Au sortir de la prison , les Apôtres consolèrent les fidèles et partirent.

En quittant Philippes, Paul se rendit à Thessalonique, capi- tale de la Macédoine. Sa prédication , toujours accompagnée de

An 5Î.

PREMIER SIÈCLE. 59

miracles, convertit quelques' Juifs et un grand nombre de païens. Les Juifs incrédules, irrités de ces conversions, soulevèrent la populace à tel point , que les fidèles , craignant pour la vie de l'Apôtre, le conjurèrent de se soustraire à l'orage.

Paul alors partit pour Athènes, il annonça l'Evangile tous ^•J!3"' les jours sur la place publique à la foule qui s'y rencontrait. Athènes était le centre des sciences, des beaux-arts et de l'urba- nité : la plus grande occupation de ses habitants, tant indigènes qu'étrangers, était de dire ou d'apprendre quelque chose de nouveau. On alla donc écouter l'Apôtre; quelques philosophes mêmes disputèrent avec lui , et le conduisirent à l'Aréopage pour lui faire rendre compte de sa doctrine. Paul parut devant celte illustre compagnie, regardée comme l'oracle de la vérité et la règle du bon goût. Jamais séance ne. fut plus célèbre : « Il y a trois choses que j'aurais voulu voir, disait saint Augustin : Rome dans un jour de triomphe , Gicéron à la tribune aux harangues et Paul devant l'Aréopage. » Le Christianisme et le Paganisme se trouvaient en présence, et ils allaient, pour ainsi dire, lutter corps à corps. D'une part , on voyait les représentants de toutes les sectes philosophiques de l'antiquité, le cœur enflé d'orgueil, la tête pleine de préjugés, et la langue habile à manier le so- phisme; de l'autre, un étranger, un Juif, « un jeune Cilicien à l'aspect grêle et maladif, n'ayant que trois coudées de haut, » comme dit Bossuet après saint Chrysostome (1). Quand les juges furent assis, Paul, debout au milieu de l'assemblée, commença en ces termes : « Athéniens, tout ce qui frappe mes regards m'annonce que vous êtes les hommes les plus religieux de la terre; car, en parcourant votre ville et en voyant les sta- tues de vos dieux, j'ai même trouvé un autel portant cette ins- cription : AU DIEU INCONNU! Or, ce Dieu que vous adorez sans le connaître, je viens vous l'annoncer. » Après cet insi- nuant début, l'Apôtre exposa l'unité, la spiritualité et la souve-

(1) L'enveloppe mortelle de l'Apôtre des nations était frôle. Ra- mnssé sur lui-même et fléchissant un peu, dit R icéphore ,' sous le poids d'une vieillesse prématurée, il avait la peau fine et blanche, la tète chauve, les yeux d'une douceur et d'une grâce inexprimables , les sourcils arqués, le nez fortement aquilin, la barbe épaisse et touffue mêlée de poils blancs.

60 cours d'histoire ecclésiastique.

raine perfection de Dieu , la création de l'homme à l'image de la divinité, sa dégradation et la nécessité pour lui de faire péni- tence , parce qu'un jour il doit rendre compte de ses œuvres, etc. . Ce discours est un des plus beaux qui soient sortis de la bouche d'un simple mortel. Afin de ne pas heurter ses audi- teurs, Paul ne combat directement ni la Philosophie ni le Paga- nisme, il expose seulement la vérité; mais, chacune de ses pa- roles était comme un coup de marteau qui frappait quelqu'un des absurdes systèmes sur Dieu , sur l'homme et sur le monde , dont ses juges étaient les partisans. La parole de l'Apôtre rencontra une terre mal préparée : personne n'essaya de lui ré- pondre; la plupart se moquèrent de lui, ou renvoyèrent à un autre temps l'examen de ces graves questions; quelques-uns seulement crurent en Jésus-Christ, et de ce petit nombre fut un des membres de l'Aréopage , de l'école de Platon , nommé De- nys, qui, selon la tradition, devint le premier évèque d'A- thènes. — Beaucoup d'auteurs graves enseignent, comme nous le verrons, qu'envoyé plus tard en Gaule par le pape saint Clé-- nenys ment , deuxième successeur de saint Pierre , Denys l'Aréopagite !'sm éca-ute' fut laPôtre et le Premier évèque de Paris. Les ouvrages at- tribués à saint Denys et parvenus jusqu'à nous sont : le Traité des noms divins ; les livres de la Hiérarchie céleste , de la Hié- rarchie ecclésiastique , de la Théologie mystique , et des Lettres. Il est vrai que plusieurs historiens et critiques des xvne etxviir» siècles, comme Launoi, Tillemont, Fleury, Roncaglia, etc., ont contesté l'authenticité de ces écrits; mais ces auteurs ont été ré- futés par les PP. Honoré de Sainte-Marie et Noël Alexandre. Baronius, le P. Halloix, D. Claude David, bénédictin de Saint- Maur, sont aussi pour l'authenticité des œuvres de saint Denys l'Aréopagite. M«r Darboy, archevêque de Paris, en a recueilli et exposé les preuves d'une manière solide et sans réplique. Les sujets traités dans les ouvrages de saint Denys sont la réfutation directe du système théogonique de Simon le Mage, tel que l'a révélé le livre des Philosophumena. On dirait que l'auteur de la Hiérarchie céleste suit pas à pas le développement de YApophasis de Simon pour le réfuter. s.Paui Saint Paul quitta doue Athènes et se rendit à Corinlhe, capi-

SfliJeiu iale de 1 Achaïe et alors métropole de mute la Grèce. Celle cité

ciens. An 52.

PREMIER SIÈCLE. ôl

était consacrée k Vénus et l'infâme déesse y avait un temple Epures aux fameux auquel étaient attachées plus de mille prostituées. Les plaisirs y étaient tellement en vogue, les fêtes si brillantes et les dépenses si énormes, qu'il fallait être riche pour pouvoir y vivre; de le proverbe : « Il n'est pas donné à tout le monde d'aller à Gorinthe. » Paul eut beaucoup à souffrir dans cette vo- luptueuse cité; mais, en dépit de tous les obstacles, il y planta la foi austère du Crucifié. Il s'y forma en peu de temps une communauté de croyants, dont Grispus, président de la Syna- gogue, fit lui-même partie, et qui devint une des plus floris- santes et des plus nombreuses de l'Eglise primitive.

C'est de Corinthe que l'Apôtre écrivit ses deux Epîtres aux fidèles de Thessalonique, le premier écrit de sa plume inspirée, dit saint Jean Chrysostome. Il avait appris la mort de plusieurs d'entre eux, et diverses vexations de la part de leurs conci- toyens, qu'ils avaient supportées avec beaucoup de patience. Dans sa première lettre, il les console, leur témoigne sa satis- faction, les exhorte à persévérer dans la foi, à croître dans la charité, et les fortifie contre les tristesses de la mort, par l'es- poir de la résurrection. Il leur recommande avec autorité la constance dans les épreuves, le respect de soi-même, la sainteté du mariage, l'horreur du mal, dont l'apparence même est re- doutable, l'obéissance aux pasteurs, l'amour du travail et du devoir, la charité fraternelle , et ce qui renferme tout le reste , la communion incessante de l'âme chrétienne à Jésus-Christ, source de grâce et de vie. Mais l'enseignement capital de la lettre est la résurrection des morts, dont celle de Jésus-Christ est le fondement et le gage. Dans la seconde lettre, qui est le com- plément de la première, il renouvelle avec plus de force encore les recommandations déjà faites, et surtout l'injonction du tra- vail. Il rassure les fidèles contre de faux bruits que l'on faisait courir sur la fin du monde; il les fait souvenir de ce qu'il leur en avait dit, et il ajoute : « Gardez bien les traditions que vous avez reçues de moi , soit de vive voix , soit par ma lettre. » Ce passage prouve clairement que les Apôtres ont enseigné de vive voix bien des choses qui ne sont pas moins sacrées que leurs écrits. L'Apôtre finit sa lettre par des menaces sévères contre les oisifs et les esprits inquiets.

62 cours d'histoire ecclésiastique.

Evangile de Dans le temps que saint Paul écrivait ses premières Epitres, 8-^uc' saint Luc publiait aussi son Evangile, peur l'opposer à des his- An53. toires controuvées que répandaient de faux docteurs. Quant aux Actes des Apôtres, on croit que saint Luc les composa à Rome, vers l'an 62, à peu près à l'époque l'Apôtre des na- tions écrivit ses Epitres aux Ephésiens et aux Hébreux. C'est la première page de l'histoire de l'Eglise.

Après dix-huit mois de séjour à Corinthe, Paul ayant dit adieu aux fidèles, s'embarqua pour la Syrie et revint à Jérusalem et à Antioche, il séjourna quelque temps. Il parcourut ensuite la Galatie, la Phrygie, allant de ville en ville et affermissant par- tout les chrétiens. Il recueillit d'abondantes consolations, parti- culièrement de la part des Galates, « qui le reçurent, dit-il, comme un ange de Dieu, comme Jésus-Christ lui-même, et qui auraient voulu, s'il eût été possible, s'arracher les yeux pour les lui donner. » s. Paul Après avoir visité la Galatie, la Phrygie et les autres provinces

àEphèse. plug éloignées de la mer, saint Paul vint à Ephèse sur la fin de An 54. l'an 54. Il y demeura trois ans pour fonder cette Eglise, que saint Jean devait ensuite rendre heureuse de sa présence , conso- lider par ses travaux et honorer par sa mort. Il est impossible de dire tout ce que le grand Apôtre eut à souffrir pour défricher ce champ inculte. Il nous apprend lui-même qu'il n'y avait pas de jour il ne fût exposé à périr. Une fois, entre autres, on se saisit de sa personne et on le livra aux bêtes de l'amphithéâtre; mais Dieu le délivra.

En arrivant à Ephèse, il trouva quelques disciples qui ne con- naissaient point le Saint-Esprit, et n'avaient reçu que le baptême de Jean-Baptiste. Il leur conféra celui de Jésus-Christ , leur im- posa les mains, et le Saint-Esprit descendit sur eux, en sorte qu'ils prophétisaient et parlaient diverses langues. On voit encore ici, comme à la conversion de Samarie, deux sacrements bien distincts : le baptême et l'imposition des mains pour donner le Saint-Esprit , c'est-à-dire , la confirmation.

Au milieu de ses travanx et de ses dangers, l'infatigable Apôtre, pensant à tout, envoya son disciple Timothée visiter et fortifier les Eglises de la Macédoine et de l'Achaïe , pendant qu'il écrivais lui-même aux Galates. Il avait appris que de faux frères

PREMIER SIÈCLE. 63

avaient troublé les fidèles de cette Eglise, en leur prêchant que la circoncision était nécessaire , ainsi que tout le reste des céré- monies de la loi mosaïque. Gomme saint Paul avait combattu cette erreur avec plus de force que personne , ces faux docteurs s'efforçaient de diminuer son autorité, en disant qu'il n'était qu'un Apôtre du second rang, choisi et instruit parles premiers Apôtres, qui eux-mêmes avaient été appelés par Jésus-Christ, et dont l'enseignement favorable à la pratique des observances légales était bien supérieur à celui de Paul.

Pour détruire ces calomnies, relever son apostolat et mainte- Epitrede nir la saine doctrine, saint Paul commence par déclarer haute- balaies?1 ment, dans sa lettre aux Galates, qu'il est Apôtre, non par la ,

An 55.

vocation des hommes, mais par celle de Dieu; que c'est Jésus- Christ lui-même qui l'a instruit par révélation; qu'il avait, il est vrai, demeuré quelque temps à Jérusalem, après sa conversion, avec saint Pierre et saint Jacques, mais qu'il n'avait rien appris d'eux; que quand saint Pierre, s'éloignant un peu des Gentils à. Antioche, sembla vouloir les obliger à judaïser, il lui avait ré- sisté en face, et que saint Pierre s'était rendu à son avis. Il ajoute que, si leurs faux docteurs vantaient leur circoncision judaïque, lui, portait sur son corps la circoncision de Jésus - Christ, c'est-à-dire, les stigmates des coups et des blessures qu'il avait reçus pour son nom. Le but de l'Apôtre était donc de montrer la divinité de son enseignement, et de prouver que la circoncision et les autres pratiques cérémonielles de l'ancienne loi n'étaient plus obligatoires ni d'aucune utijjté, depuis la pro- mulgation de l'Evangile. On voit par aVfec quelle mauvaise foi les hérétiques modernes abusent de ces passages de l'Epître aux Galates, pour combattre la nécessité et l'utilité des bonnes œuvres en général , relativement au salut. Saint Paul finit sa lettre en disant que, lors même qu'un ange du ciel viendrait en- seigner le contraire de ce qu'il leur avait appris lui-même, il ne faudrait pas l'écouter.

Pour bien saisir le sens de cette Epitre, il faut se placer au point de vue de l'Apôtre, autrement le ton pourrait facilement paraître impérieux et peu conforme à la modestie évangélique. Si saint Paul exalte son apostolat et veut que les fidèles le res- pectent et le vénèrent , c'est uniquement dans l'intérêt et pour

&1

COURS D HISTOIRE ECCLESIASTIQUE.

Première

Epltre

de S. Paul

aux Corinthiens.

An 56.

Ori?me

4c l'arbitrage

«les évêques

en matière

la gloire de l'Évangile qu'il annonce. Ce qui le montre claire- ment, c'est qu'après avoir exposé les sublimes privilèges de sa mission divine, il s'humilie lui-même personnellement de la manière la plus touchante : et comme, en ce genre, les expres- sions générales prouvent peu, il ne se dit pas seulement le moindre et le dernier des Apôtres, mais il s'efforce de le démon- trer en racontant ce qu'il avait fait avant sa conversion, et avec quelle fureur il avait persécuté l'Église de Dieu.

Ce fut aussi d'Ephèse que saint Paul écrivit sa première Epitre aux Corinthiens. Il avait appris par un Juif converti, nommé Apollo, qui était venu le trouver, et par une lettre que lui avaient envoyée les chrétiens de la maison de Chloé, chré- tienne fervente, qu'il y avait des dissensions parmi les fidèles; qu'à l'exemple des philosophes païens divisés en plusieurs sectes, les uns se glorifiaient d'être les disciples de Paul, d'autres d' Apollo, d'autres de Pierre, d'autres enfin de Jésus- Christ; qu'il y avait entre eux des injustices et des procès; qu'il se commettait des abus dans les agapes; enfin, qu'un chrétien s'était rendu coupable d'un inceste presque inouï, même chez les païens. En informant l'Apôtre de ces désordres , on l'avait aussi consulté sur plusieurs points de morale, et particulière- ment sur la continence et sur le mariage.

Saint Paul, dans sa lettre, humilie d'abord les Corinthiens au sujet de leurs divisions, en montrant combien ils sont encore grossiers et charnels, puisqu'au lieu de s'attacher uniquement à Jésus-Christ, l'Auteur de leur foi et le Principe de tout bien, ils tirent vanité des ministres qui les ont instruits , comme s'ils étaient autre chose que les dispensateurs des mystères de Dieu. Il leur reproche ensuite d'avoir souffert si longtemps le scan- dale de l'incestueux, et il déclare qu'il « livre le coupable à Sa- tan au nom du Seigneur; » c'est-à-dire, qu'il le sépare pour un temps de la société des fidèles, dans la vue de le corriger; donnant ainsi un exemple du pouvoir qui appartient à l'Eglise d'employer l'excommunication. Il les blâme d'en appeler aux tribunaux, parce que c'était un scandale pour les païens, et pour eux-mêmes une source de péchés. Il leur recommande en conséquence, de porter leurs différends devant des arbitres choi- sis parmi les chrétiens. De vient que, pendant longtemps, les

PREMIER SIÈCLE. 65

fidèles soumirent leurs difficultés à l'arbitrage des évoques. Pri- mitivement, la validité de ces décisions ecclésiastiques dépendait du consentement des parties. « Plus tard , dit Newman , l'arbi- trage des évoques fut ratifié par des lois positives, et des ins- tructions étaient données aux juges pour qu'ils exécutassent, sans appel ni délai, les sentences épiscopales. L'autorité et la sagesse des évoques inspirèrent bientôt tant de confiance, qu'on y recourait de toute part, et, au ive siècle, saint Augustin se plaignait que ses fonctions spirituelles étaient perpétuellement interrompues par le travail ennuyeux de décider entre des pré- tentions opposées, de prononcer sur la possession de l'or et de l'argent, des terres et des bestiaux (1). »

Saint Paul reprend aussi sévèrement les abus qui s'étaient in- troduits dans les agapes. L'institution de ces repas de charité avait pour but de faire participer les pauvres à l'abondance des riches. A Corinthe, au contraire, ils ne différaient plus des repas ordinaires; chacun y mangeait ce qu'il avait apporté, sans tenir compte des besoins d'autrui, et les pauvres n'en recevaient que de la confusion. Le charitable Apôtre s'élève avec forco contre cette dureté. De là, passant au céleste repas de l'Eu- charistie qui, dans ces premiers temps, suivait les agapes (2), il signale le crime et les terribles châtiments des profanateurs de cet auguste mystère. « Celui, dit-il, qui s'en approche indignement se rend coupable du Corps et du Sang de Jésus-Christ; et c'est en punition de leurs sacrilèges que plusieurs d'entre vous sont malades ou morts. » Enfin, il préconise et conseille la virgi- nité, tout en proclamant la sainteté du mariage. Ce ne fut pas assez pour le cueur de Paul d'écrire aux Corinthiens, il leur enyova bientôt après son disciple Tile, pour connaître l'effet de sa lettre et avoir de leurs nouvelles.

(i) Histoire du développement du Christianisme.

(2) Dès la fia du premier siècle, par respect pour l'Eucharistie, il était déjà passé en usage, dans un grand nombre d'Eglises, de ne l'administrer que le matin à des personnes à jeun. On ne peut douter, selon saint Augustin , que l'obligation de communier à jeun ne soi t de précepte apostolique. D'après ce Père, S. Paul l'aurait ainsi réglé dans sa troisième visite à Corinthe. ^S. Aug., Epist. Ui ad Jan. Godescard , Vie de S. Paul, 30 juin.)

Cour» *>'histoihi. I

souffrances , miracles

de P. Paul à Ephèse.

Seconde Epllre

Corinthiens. An 57.

66 COURS d'histoire ECCLÉSIASTIQUE.

Cependant, la sollicitude de l'Apôtre pour les Églises loin- taines ne lui faisait pas négliger le soin des fidèles qui l'entou- raient. Il travaillait nuit et jour à Ephèse et prêchait sans relâche. Il se faisait aussi par ses mains, souvent même à son insu, une multitude incroyable de prodiges : le simple attou- chement de ses linges et de ses vêtements suffisait pour guérir les malades et chasser les démons, etc. Nous avons vu que l'ombre seule de saint Pierre opérait de semblables merveilles. Ainsi s'accomplissait la parole du Sauveur, qui avait déclaré que ses disciples feraient des miracles plus grands que les siens. Ainsi, d'un autre côté, se trouve divinement justifié l'u- sage, de tout temps pratiqué dans l'Eglise, de vénérer les saintes reliques.

La semence évangélique, arrosée par les sueurs de Paul, produisit enfin dans la ville d'Ephèse une moisson si abondante, qu'elle excita la rage de l'enfer, et devint pour l'Apôtre l'occa- sion d'une persécution nouvelle. Cette cité avait élevé à Diane un temple qui passait pour une des merveilles du monde. Toute l'Asie avait contribué à le bâtir, et les étrangers venaient en foule le visiter; ils avaient aussi coutume d'acheter et d'em- porter chez eux de petits temples d'argent faits sur le modèle de celui de la déesse. Un orfèvre, nommé Démétrius, qui en faisait un grand commerce, s'alarma des succès de Paul. Il convoqua donc ceux de sa profession, et tous ensemble ameutant le peuple, ils remplirent la ville de tumulte et excitèrent contre les chrétiens une violente sédition, qu'un des magistrats de la cité parvint cependant à apaiser.

Quand elle fut calmée, Paul réunit les fidèles, leur dit adieu, et partit pour la Macédoine. Ce fut dans ce royaume que Tite vint le rejoindre, et le réjouit par les consolantes nouvelles qu'il lui apporta de Corinlhe. Le disciple raconta à son maître que sa lettre avait produit les meilleurs effets; que le nom de Paul en était devenu plus cher et plus respectable aux Corinthiens; que la très-grande partie des fidèles souhaitaient ardemment de le voir; qu'ils avaient remédié aux troubles et aux scandales de leur Eglise, et qu'ils avaient éli touchés jusqu'aux larmes de l'affliction de leur pasteur et de leur père. Paul leur écrivit alors une seconde lettre pour les consoler, les affermir* et dé-

PREMIER SIÈCLE. 67

truire jusqu'aux derniers germes des abus. Obligé cependant de justifier encore son ministère et sa doctrine, contre quelques chrétiens trop attachés aux pratiques du Judaïsme, il exalte la loi nouvelle et ceux qui la prêchent. Venant ensuite à ce qui le concerne en particulier, il rappelle tout ce qu'il a enduré pour Jésus-Christ, il insiste sur les révélations dont Dieu l'a favorisé; mais on sent qu'il en coûte à sa modestie; il évite môme de se nommer, et il oppose sans cesse la faiblesse hu- maine qui est en lui , aux effets de la puissance divine qui s'y manifeste pour la gloire de Jésus-Christ et pour l'avantage des fidèles. Il engage aussi les Corinthiens à user d'indulgence à l'égard de l'incestueux qui se repentait, les conjure de l'ad- mettre à la paix, et leur demande cet acte de charité comme une preuve de leur obéissance. Il finit en leur recommandant les chrétiens de la Judée , qui étaient dans l'indigence et la tri- bulation. Cette lettre fut portée par Tile.

L'Apôtre, ayant parcouru la Macédoine, se rendit lui-même à Epitredê

„.,'.,.. ^ . , S. Paul aux

Conntne, d ou il écrivit son Epître aux Romains. Deux de 'ses Romain», disciples, qui étaient allés à. Rome, lui avaient annoncé que, ~

dans cette Eglise, comme partout ailleurs, il y avait rivalité et division entre les Juifs et les Gentils devenus chrétiens. Les Juifs prétendaient que leur vocation â la foi était le prix de leur exactitude à observer la loi de Moïse , sans tenir compte de la grâce et des mérités de Jésus-Christ; et les Gentils, de même , soutenaient que Dieu les avait éclairés des lumières de l'Evan- gile, pour récompenser la droiture de leur cœur et leur fidélité à la loi naturelle. Paul, en leur écrivant, condamne fortement les prétentions fausses et orgueilleuses des uns et des autres. Il remet sous les yeux des Gentils la vanité et l'indigne lâcheté de leurs philosophes, qui avaient retenu la vérité captive, et qui, ayant connu Dieu par ses ouvrages, ne l'avaient point glo- rifié selon la lumière de leur conscience; de sorte qu'en puni- tion de leur orgueil, Dieu les avait abandonnés au dérèglement de leur cœur, et qu'ils s'étaient plongés, non-seulement dans l'idolâtrie, mais dans les vices les plus honteux. Il rappelle aux Juifs l'abus qu'ils ont fait des grâces dont Dieu les avait favo- risés, et leur ieproche de commettre les mêmes crimes qu'ils condamnent dans les païens. D'où il conclut que ni les uns ni

68

COKRS D HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

S. Paul

à Troatliî.

Il y célèbre

le dimanche.

S. Paul à Milet.

les autres n'avaient mérité, par leurs propres œuvres, d'être appelés à la foi et à la justice. Car la foi est le principe de la justification, et Dieu l'accorde sans avoir égard, du moins comme mérite, aux œuvres précédentes, autrement ce serait une récompense et non pas une grâce. Il révèle, au chapitre onzième, les dispositions de la Providence à l'égard de la na- tion juive, qui se convertira à la fin des temps. En terminant sa lettre, l'Apôtre annonce aux Romains qu'après avoir porté à Jérusalem les aumônes de la Macédoine, il se propose de les aller voir, et salue affectueusement un grand nombre de fidèles de leur Eglise, il avait beaucoup d'amis et des parents. Il n'est pas lait mention de saint Pierre, dans ces diverses saluta- tions; cet Apôtre n'était pas alors à Rome. Saint Pierre, saint Paul et les autres ouvriers apostoliques ne demeuraient point à poste fixe comme nos évèques d'Europe. Pendant que Paul parcourait tout l'Orient, depuis l'Illyrie jusqu'à Jérusa- lem, Pierre portait l'Evangile dans tout l'Occident, et pénétrait jusque dans la Grande-Bretagne, comme l'assure Métaphraste (1).

Après un séjour de trois mois à Corinlhe, Paul , accompagné de Timothée et de plusieurs autres disciples, se rendit à Troade, il passa une semaine entière. Le jour du dimanche, les fidèles étant réunis pour la célébration de l'Eucharistie, saint Paul fit un discours qui dura jusqu'à minuit; mais un accident troubla un instant la sainte joie de l'assemblée. Un jeune homme, nommé Eutyque, assis sur une fenêtre, s'endor- mit et se tua en tombant du troisième étage (2). Paul descendit aussitôt, se pencha sur le mort, et le rendit à la vie en l'em- brassant. Il bénit ensuite le pain eucharistique, et, après la célébration des saints mystères, il continua son entretien jus- qu'au jour.

Au lever de l'aurore, il s'embarqua, et deux jours après il se trouvait à Milet. Son dessein était d'arriver à Jérusalem pour la

(4) Receveur, tom. L Alzog., tora. I. Darras, tom. VI, p. 92.

(2) Au commencement, les fidèles tenaient leurs assemblées , comme nous l'avons vu , dans les salles à manger, que les Latins nommaient cénacles, et qui étaient au haut des maisons. Plus tard, la persécution les obligea de se retirer dans les cryptes ou caves souterraines, for- mées par les carrière» , hors des villes.

PREMIER SIECLE. 69

fête de la Pentecôle. Quoique pressé , il envoya chercher les évèques et les prêtres de l'Eglise d'Ephèse et des environs, pour les entretenir encore une fois. En les voyant serrés autour de lui, le grand cœur de Paul fut ému. Voici quelques-unes des paroles louchantes qu'il leur adressa : « Vous savez quelle a été ma conduite au milieu de vous, depuis le jour je suis entré en Asie. Je n'ai rien négligé, rien omis de ce que j'ai cru pou- voir contribuer à votre salut. Je n'ai jamais désiré ni l'or, ni l'argent, ni les vêlements de personne, vous le savez vous- mêmes; ces mains que vous voyez ont fourni à mes besoins. Voilà que maintenant , entraîné et comme enchaîné par le Saint- Esprit, je m'avance vers Jérusalem, ignorant le sort qui m'est réservé. Ce que je sais, c'est que le Saint-Esprit, dans toutes les villes je passe, me fait annoncer des chaînées et des tribu- lations, mais je ne crains rien de tout cela. Peu m'importe le reste , pourvu que je consomme ma course et que j'accomplisse la mission que j'ai reçue du Seigneur Jésus. Ce que je sais en- core , c'est que vous ne me reverrez plus (1). Veillez donc sur vous-mêmes et sur le troupeau dont le Saint-Esprit vous a éta- blis évèques et pasteurs, pour gouverner l'Eglise de Dieu, qu'il a rachetée de son sang. Veillez donc encore une fois , et souve- nez-vous que je n'ai cessé nuit et jour, durant trois années, d'exhorter avec larmes chacun d'entre vous. Et maintenant je vous recommande à Dieu et à sa grâce. »

Après ces paternelles recommandations, Paul se mit à ge- noux, et ils prièrent tous ensemble. La prière fut bientôt inter- rompue par les soupirs et les sanglots. Les évèques et les prêtres se jetèrent au cou de l'Apôtre , et l'accompagnèrent jus- qu'au vaisseau. Paul vint débarquer à Tyr, et quelques jours après il arriva à Jérusalem.

Dès le lendemain , il alla voir saint Jacques, évoque de cette s. Pmi ville. Tous les disciples vinrent le saluer, et bénirent le Sei- s*^"«ali;n?.

r ' [levait!

gneur de ce qu'il avait opéré au milieu des Gentils par son mi- :

Juiis.

I Comme saint Paul , après avoir été à Rome , revint plus tard en Orient, quelques-uns pensent qu'il ne parlait ici que par conjectura; D'autres concilient tout, en disant qu'il a bien pu retourner en Asie sans repasser par Ephèse, ou sans revoir les mêmes personnes.

Au 58.

70 COURS d'histoire ecclésiastique.

nistère. Paul était à Jérusalem depuis une semaine, unique- ment occupé de la distribution des aumônes qu'il avait recueil- lies, lorsqu'un jour, priant dans le temple, il fut reconnu par quelques Juifs venus d'Asie, qui se jetèrent sur lui en criant : « Au secours , Israélites ! Voici l'homme qui ne cesse de blas- phémer contre la loi et contre le temple. » A ce cri la foule ac- courut; on se jeta sur Paul, et on le traîna hors du temple pour le frapper et le tuer. Sur ces entrefaites, le tribun Lysias, com- mandant la garnison romaine , arriva avec des soldats et l'arra- cha des mains de ses ennemis. Toutefois, pour apaiser le peuple, il fit charger l'Apôtre de chaînes. Quelques moments après, il voulait même le faire battre de verges; mais Paul l'ar- rêta tout à coup en lui disant : « Est-ce ainsi que vous osez traiter un citoyen romain? » Ces mots intimidèrent Lysias; il fit ôter ses chaînes au prisonnier, et, le lendemain, il l'amena de- vant le conseil des Juifs qu'il avait fait assembler. Paul prit aussitôt la parole pour se justifier. Mais à peine avait-il com- mencé de parler, que le grand-prètre Ananie lui fit donner un soufflet. « Muraille blanchie! lui dit l'Apôtre, vous serez vous-même frappé de Dieu (1). Quoi! vous êtes assis pour me juger selon la loi, et contre la loi vous ordonnez qu'on me frappe? » Le reproche était vif, mais Paul ignorait, comme il le dit lui-même, qu'il parlât au grand-prètre (2). Dès qu'il le sut, il s'excusa avec franchise.

(<) C'était une prophétie, s'il est vrai, comme on le croit, qu' Ananie fut tué plus tard par les brigands.

(2) Saint Paul ne faisait que d'arriver à Jérusalem, depuis près de vingt-cinq ans il avait très-peu séjourné; depuis le premier Hérode, le pontificat n'était plus à vie, et les grands-prèlres, nommés et déposés au gré des rois ou des gouverneurs de la Judée , se succé- daient avec une rapidité qui ne laissait pas aux étrangers ni aux absents le temps de les connaître; Josèphe dit qu'il y eut jusqu'à trois grands- prêtres la même année ; 3<> la convocation du conseil des Juifs avait été faite à la hâte et par le tribun Lysias. Il est possible , dit le P. do Ligny, qu'on n'eût pas gardé les formalités ordinaires, tant pour le lieu de l'assemblée que pour les rangs et le reste du cérémo- nial; la scène se passait dans l'intérieur de la forteresse Antonia ; qui sait même si ce n'était pas le tribun qui occupait la première place? Saint Paul pouvait donc très-facilement ne pas connaître le grand- prètre (S. Chrysost. Sanchez. Gornel. à Lap.).

PREMIER SIÈCLE. 71

Cependant, l'assemblée devant laquelle il se trouvait était composée de deux éléments contraires : les pharisiens et les sad- ducéens. Les uns admettaient , les autres niaient la résurrection des morts, tous rejetaient la résurrection de Jésus-Christ, qui est à la fois le gage de la nôtre, la plus forte preuve de la divi- nité du Sauveur, le sceau suprême de ses enseignements et de ses promesses, et le fondement solide de la prédication chré- tienne. Aussi saint Paul, dans ses prédications, revenait-il sans cesse sur ces deux importantes vérités (1), qui sont les bases inséparables de la foi et de l'espérance chrétiennes pour l'âme et pour le corps. Partant de et profitant des dispositions de ses ennemis, le grand Apôtre leur dit, avec une rare habileté : c Mes frères, je suis pharisien et lils de pharisien, et c'est à cause de l'espérance d'une autre vie et de la résurrection des morts, que l'on veut me condamner. » Ces paroles, comme il l'avait prévu, jetèrent la division parmi ses ennemis; plusieurs se levèrent et dirent : « Nous ne trouvons rien de répréhensible dans cet homme. » Alors , ils s'échauffèrent tellement les uns contre les autres, que le tribun, craignant qu'ils ne missent Paul en pièces, le fît enlever par des soldats, et, pour le sous- traire à leur fureur, il l'envoya à Félix, gouverneur de la Pales- tine, résidant à Césarée.

Félix avait l'âme vénale. Quoiqu'il eût bien vite reconnu fin- s. Paul nocence de son prisonnier, dont la sainte éloquence le faisait devant Félix, trembler, il le retint néanmoins deux ans dans les fers, espérant Festus et qu'on achèterait sa délivrance à prix d'argent. Il aurait peut- A»rwa- être prolongé davantage celte inique détention, mais il fut révo- Ans58-6o. que et eut pour successeur Portius Festus. Festus fut bientôt harcelé par les prêtres et les grands de la nation, et pressé de renvoyer le captif à Jérusalem. L'intention des Juifs était de le faire assassiner en route. Déjà, auparavant, à Jérusalem , sous Lysias, quarante sicaires, soudoyés par eux, avaient fait serment de commettre ce forfait. Le nouveau gouverneur fit donc comparaître l'Apôtre, et lui demanda s'il voulait être con- duit à Jérusalem , pour y être jugé sur les choses dont on l'ac-

(4) 4" Epit. aux Corinth., c. <5, v. 43-23.

72 couks d'histoire BCCLÉSIASTIQUB.

cusait. Mais Paul, qui avait clé informé par un lils de sa sœur du complot de ses ennemis, se prévalut avec une admirable prudence de son droit de citoyen romain, et répondit au gouver- neur : « J'en appelle à Césa>! » Festus ayant pris l'avis de son conseil, dit à Paul : « Vous avez appelé à César, vous irez à César; » et il se disposa à envoyer l'Apôtre à Rome.

Pendant les préparatifs du voyage, le roi de Galilée, Agrippa, fils d'Hérode Agrippa, et sa sœur Bérénice, vinrent à Césarée complimenter Festus sur sa nomination au gouvernement de la Palestine. Festus leur parla de Paul, et Agrippa ayant témoigné un vif désir de voir et d'entendre cet homme extraordinaire , le gouverneur tint, le jour suivant, une audience solennelle Paul fut amené, t Voici, dit Festus à Agrippa, ce prisonnier qui émeut toute la Judée; je suis ravi de pouvoir le faire compa- raître devant cette assemblée, et principalement devant vous, roi Agrippa, afin que vous l'interrogiez vous-même, car je ne sais qu'en écrire à l'empereur. » Alors Agrippa dit à Paul : « On vous permet de parler pour votre défense. » Aussitôt, Paul éten- dant la main, commença ainsi sa justification : « Roi Agrippa, je m'estime heureux d'avoir à me défendre devant vous, parce que vous connaissez parfaitement les coutumes des Juifs et les questions débattues parmi eux. » Après ce début, l'Apôtre raconta sa vie, ses préjugés et sa haine contre la religion chré- tienne, puis il parla de sa conversion miraculeuse, et enfin de la divinité de Jésus crucifié. Ici Festus l'interrompit et dit à haute voix : t Vous êtes en délire, Paul, votre grand savoir vous fait perdre le sens. » Paul répondit : « Je ne suis point dans le délire , illustre Festus , ce que je dis est plein de vérité et de sens. Le roi, qui m'écoute, connaît ces choses, car rien de tout cela ne s'est passé en secret. Ne croyez-vous pas aux pro- phètes, roi Agrippa? Je sais que vous y croyez. » Agrippa, éludant la question, lui dit : « Vous allez peut-être bientôt me rendre chrétien! Plût à Dieu, reprit Paul , que vous et tous ceux qui m'écoutent, devinssiez aujourd'hui tels que je suis, à la ré- serve de ces liens! » Le roi alors leva la séance, et, prenant Festus à part : t Cet homme est innocent, lui dit-il; s'il n'en avait appelé à César, vous pourriez le mettre en liberté. » Il fut résolu que Paul serait envoyé en Italie.

Au .VJunsil.

PREMIER SIÈCLE. 73

Festus le fit donc embarquer avec d'autres prisonniers, et, b.pwi après une longue et périlleuse navigation, qui fut signalée par ■jgj] un grand nombre de miracles, l'Apôtre arriva chargé de fers dans la capitale du monde, au printemps de l'année 61 , selon la plupart des auteurs; en 59, d'après saint Adon ; en janvier 56, au jugement du savant chevalier de Rossi , qui donne cette date comme certaine aujourd'hui. Les chrétiens étaient venus en foule au-devant de lui, les uns jusqu'à plus de trente, les autres jusqu'à plus de cinquante milles, ou environ soixante- quinze kilomètres de Rome. 11 fut remis entre les mains du pré- fet de la ville, qui lui permit de rester il voudrait, avec un soldat du prétoire chargé de le garder et auquel il était attaché nuit et jour par une longue chaîne, selon la coutume des Romains. Il prit un logement pour lui et son prétorien, et il demeura deux ans dans cet état , ayant la liberté d'an- noncer l'Évangile à tous ceux qui voulaient venir le voir et l'entendre. Ici s'arrête le récit des Actes des Apôtres par saint Luc.

Après le départ de Paul , la Synagogue , furieuse de voir qu'il Martyre avait échappé à sa haine, s'en vengea sur l'évèque de Jérusa- lem, saint Jacques le Mineur; elle profita pour le faire périr, de la mort du gouverneur Festus. On s'empara du saint Apôtre, on le fit monter sur la terrasse du temple, afin que le peuple pût le voir et l'entendre plus facilement. Alors les scribes et les phari- siens lui crièrent : 0 juste! (sa rare vertu lui avait fait donner ce beau nom) ô juste! dites-nous ce qu'il faut penser de Jésus qui a été crucifié? » L'Apôtre répondit à voix haute : « Pourquoi m'interrogez-vous sur Jésus, comme si vous pouviez encore avoir besoin de nouvelles lumières? Je vous déclare qu'il est assis dans les cieux à la droite du Tout-Puissant, et qu'il en des- cendra un jour, porté sur les nuées, pour juger l'univers. » En entendant ce témoignage éclatant rendu à Jésus-Christ, les scribes et leurs partisans s'écrièrent : « Quoi! le juste s'égare aussi! Il faut monter sur la terrasse et le précipiter. » Ils furent obéis sur-le-champ. L'Apôtre n'étant pas mort de sa chute, se releva et se mit à prier; mais un foulon survint et l'acheva à coups de levier. A la place de saint Jacques, on élut pour évèque de Jérusalem saint Siméon son frère : tous les deux

le S. Jacquet.

le Mineur.

1k cours d'histoire ecclésiastique.

étaient parents, cousins - germains , de Jésus -Christ (1). Epître Nous avons de saint Jacques une Epître adressée aux douze

^Mineur?* triDus dispersées, c'est-à-dire, aux Juifs convertis et répandus parmi les nations, ce qui l'a fait appeler catholique ou univer- selle. Elle a principalement pour objet d'établir la nécessité des bonnes œuvres, que quelques-uns semblaient regarder comme inutiles, en se fondant sur des passages de saint Paul mal interprétés.

Saint Jacques promulgue aussi, dans son Epître, le sacre- ment de l'Extrème-Onction, en disant : « Quelqu'un de vous est-il malade, qu'il fasse venir les prêtres de l'Eglise, afin qu'ils prient sur lui en l'oignant d'huile au nom du Seigneur. La prière de la foi sauvera le malade, le Seigneur le soulagera, et, s'il est coupable de péchés, ils lui seront remis. » Toute la tradition a vu dans ces paroles un sacrement institué pour les mourants. En effet , saint Jacques en marque le sujet , qui est le malade; les ministres, qui sont les prêtres; la matière, qui est l'huile, la forme, qui est la prière de la foi; l'application de l'une et de l'autre au sujet, qui est l'onction; l'effet pour le corps, qui est la guérison ou le soulagement; l'effet pour l'âme, qui est la rémission des péchés.

On a douté autrefois si cette Epître était de saint Jacques.

(4) L'on voit dans saint Matthieu (xm, 55), et dans saint Marc, quatre personnes honorées du titre de frères ou parents du Seigneur. Dans les langues sémitiques, et spécialement en hébreu, dans l'anti- quité profane, comme dans la Bible, ces mots frères, sœurs, cou- sines et cousins-germains sont synonymes, témoins Ovide, Tacile, Cicéron, etc. Les quatre personnes, désignées sous le titre de frères ou parents du Seigneur, sont : Jacques et Joseph, Simon ou Siméon et Jude. On peut croire que tous les quatre ont eu la même mère, Marie, sœur, c'est-à-dire parente de la sainte Vierge, qui aurait eu successivement deux époux, Alphée et Cléophas. Saint Jacques s'ap- pelle expressément, dans l'Ecriture, fils d'Alphée, et Hégésippe assure que Simon ou Siméon était fils de Cléophas. Jacques et Joseph , tou- jours nommés ensemble, seraient fils du premier époux, Alphée, et Siméon et Jude, toujours aussi joints l'un à l'autre, seraient fils du second, Cléophas. D'autres pensent que Cléophas et Alphée ne sont que deux noms différents désignant la même personne (Heges. apud Euseb., Orsi, Robrbacher, t. IV; Foisset. Hist. de J.-C, p. 47. H. Lasserre contre Renan).

PREMIER SIÈCLE. 75

L'historien Eusèbe la croyait d'un autre écrivain; mais il atteste en même temps que, dès le commencement, elle était reçue dans la plupart des Eglises. Elle est en effet contenue dans la vieille version syriaque du second siècle. Les Pères les plus érudits, entre autres, Origène, l'ont toujours reconnue comme étant de saint Jacques. Sur la fin du ive siècle , elle avait acquis une autorité universelle , et elle est citée avec respect par tous les docteurs de ce bel âge. Le Protestantisme l'a attaquée , mais il s'est contredit sur ce point comme sur tant d'autres : Calvin l'a toujours admise, et Luther, qui l'a grossièrement appelée Epître de paille, lui avait auparavant donné le nom à'Epîtred'or.

Cependant , la captivité du grand Apôtre à Rome était une Epto* mission continuelle. Une foule de prosélytes venaient le trouver, ' a;,x"' et il leur enseignait la doctrine de Jésus-Christ, sans que per- PJ«aipp««* sonne y mit obstacle. Les Eglises les plus lointaines s'inté- Aooa, ressaient et recouraient à lui. Ainsi, les fidèles de Philippes lui envoyèrent Epaphrodite, leur évèque, pour lui porter des secours et le soigner en leur nom. Paul , touché de leur dévouement , leur écrivit une lettre , après avoir raconté les progrès de l'Evangile à Rome, il les prémunit contre de faux docteurs qui niaient la réalité de l'incarnation, et les exhorte à l'humilité par l'exemple de Jésus-Christ obéissant jusqu'à la mort de la croix. Il les conjure de vivre toujours dans une parfaite union, et les avertit qu'il leur renvoie Epaphrodite pour les diriger et les consoler, t J'espère même, ajoute-t-il, vous envoyer bientôt Timothée, afin que je sois consolé à mon tour, en apprenant de vos nouvelles; je n'ai personne qui puisse prendre soin de vous avec autant d'affection; et je me promets de la bonté du Seigneur d'aller moi-même vous visiter dans quelque temps. »

Peu auparavant , le grand Apôtre avait aussi adressé une Epître lettre à un riche chrétien de Colosse en Phrygie , nommé Philé- d**; paul à mon, qu'il avait converti. Philémon avait fait une église de sa maison, et, plus tard, il couronna son zèle et sa charité par le martyre. Un de ses esclaves, nommé Onôsime, s'était enfui après l'avoir volé, et était venu à Rome, il eut le bonheur de rencontrer le saint Apôtre. Paul le convertit, le renvoya à son maître et le chargea de deux lettres : l'une pour l'Eglise de Colosse, l'autre pour Philémon en particulier.

76 cours d'histoire ecclésiastique.

(Jette dernière, dans sa brièveté, est un chef-d'œuvre de cette éloquence qui part du cœur. L'Apôtre y conjure Philémon de pardonner à son esclave. « La prière que je vous fais, lui dit-il, est pour mon fils Onésime, que j'ai engendré dans les chaînes. Je vous le renvoie et je vous prie de le recevoir comme mes entrailles. S'il vous a fait tort et s'il vous doit quelque chose, imputez-le-moi. » « Quel spectacle, s'écrie saint Chrysostome , de voir le grand Apôtre des nations caresser de ses mains défaillantes et chargées de fers, un esclave fugitif, un voleur, et s'occuper de lui comme un bon père s'occupe de son enfant! Ah! c'est que l'Apôtre ne jugeait pas des homme- par leur condition, mais par le sang de Jésus-Christ, qui a été le prix de leur rachat. »

Philémon pardonna à son esclave et le mit en liberté. Oné- sime mérita de devenir évêque d'Ephèse, après saint Timothée, selon Baronius et d'autres savants, ou de Bérée en Macédoine, au rapport de saint Jérôme et de Tillemont. On voit ici un exemple de la prudence exquise et de l'admirable modération avec laquelle le Christianisme attaqua l'esclavage, a L'Eglise catholique, dit Balmès, fut plus sage que les philosophes. Elle sut dispenser à l'humanité le bienfait de l'émancipation , sans injustice, sans violence et sans bouleversement; elle n'a pas armé les esclaves , elle a désarmé les maîtres ; elle eut le secret de régénérer la société , mais non dans des bains de sang (1). » Elle fit grandir le faible en dignité et le fort en charité, pour le? unir tous les deux dans la fraternité chrétienne. Epine Dans sa lettre aux Colossiens, saint Paul insiste fortement

sur les grandeurs de Jésus-Christ, déclarant t que la plénitude de la divinité réside en lui substantiellement, qu'il est le Créa- teur de toutes les choses visibles et invisibles, qu'il est au-des- sus de toutes les principautés et de toutes les puissances, et qu'enfin il est le Chef de l'Eglise et le Rédempteur des hommes. » Le but de l'Apôtre était de réfuter quelques faux docteurs , qui, mêlant au Christianisme les rêveries de la philosophie orientale, cherchaient à séduire les fidèles , et à leur persuader que le monde avait été créé par des esprits dont la puissance

(<) Le Catholicisme comparé au Protestantisme, tome I.

do S. l'aul

PREMIER SIECLE.

gouvernait toutes choses; en sorte que l'homme, étant sous leur dépendance, devait les adorer et les invoquer comme de véri- tables médiateurs, de préférence à Jésus-Christ.

Les Epltres de saint Paul aux Ephésiens et aux Hébreux datent de la môme époque. Dans la première, comme dans l'Epitre aux Colossiens, l'Apôtre exalte la grandeur de Jésus- Christ « qui est, dit-il, au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute vertu et de toute domination. « En- suite, comme les Gnostiques commençaient à répandre leur infâme doctrine sur la communauté des femmes, et se livraient sans retenue aux plus honteuses débauches, Paul insiste beau- coup sur la chasteté et sur la sainteté du mariage.

L'Epitre aux Hébreux est parfaitement conforme aux autres , quant aux pensées et au fond de la doctrine. Mais le style, qui en est moins sublime et moins vif, a fait croire à quelques an- ciens que l'Apôtre ne l'avait pas dictée textuellement, et même qu'elle n'était pas de lui. Cependant le plus grand nombre des Pères et la généralité des Eglises la lui ont toujours attri- buée (1). On croit qu'elle fut composée sous forme de disserta- tion , pendant les derniers mois de sa captivité. Selon Clément d'Alexandrie , elle fut dictée en hébreu par l'Apôtre , et traduite en grec par saint Luc. De là, l'analogie souvent remarquée entre le style de YEpître et celui des Actes des Apôtres. « Saint Paul, dans cette Epître, s'attache, dit Bossuet, à nous en- seigner que le pécheur ne pouvait éviter la mort qu'en subro- geant en sa place quelqu'un qui mourût pour lui; que, tant que les hommes n'ont mis à leur place que des animaux égor- gés , leurs sacrifices n'opéraient autre chose qu'une reconnais- sance publique qu'ils méritaient la mort, et que la justice divine ne pouvant être satisfaite d'un échange aussi inégal, on recommençait tous les jours à immoler des victimes, ce qui était une marque certaine de l'insuffisance de cette subrogation; mais que , depuis que Jésus-Christ avait voulu mourir pour les pécheurs, Dieu, satisfait de la subrogation volontaire d'une si digne personne , n'avait plus rien à exiger pour le prix de notre

Epi; m de s. Paul

Epilre de S. Paul

M) D. Calmet, Vence , Préface de l'Epitre aux Hébi Kowman, Hist. du développement.

c. 4. -

78 cours d'histoire ecclésiastique.

rachat. D'où l'Apôtre conclut que, non-seulement on ne doit plus immoler d'autres victimes après Jésus-Christ, mais que Jésus-Christ même ne doit être offert qu'une seule fois à la mort.

« Aussi, continue Bossuet, l'Eglise, loin de croire qu'il man- que quelque chose au sacrifice de la croix, le croit au contraire si parfait et si pleinement suffisant, que tout ce qui se fait maintenant, à la messe, n'est établi que pour en célébrer la mé- moire et pour en appliquer la vertu. Et lorsqu'elle fait dire à Dieu par ses prêtres : Nous vous présentons cette hostie sainte, elle ne prétend point, par cette oblation, faire présenter à Dieu un nouveau paiement du prix de notre salut , mais employer auprès de lui les mérites de Jésus-Christ présent, et le prix in- fini qu'il a payé une fois pour nous en îa croix. C'est la doctrine expresse du concile de Trente, qui enseigne que le sacrifice de la messe n'est institué qu'afin de représenter celui qui a été une fois accompli sur la croix, d'en faire durer la mémoire jusqu'à la fin des siècles , et de nous en appliquer la vertu salutaire pour la rémission des péchés que nous commettons tous les jours.

» Ainsi croyons-nous qu'à la vérité le prix de notre rachat ne se réitère plus, parce qu'il a été bien fait la première fois, mais que ce qui nous applique cette rédemption se continue sans cesse. Objecter avec les prétendus réformés que cette doctrine fait tort au sacrifice de la croix, c'est renverser toute l'Ecriture, particulièrement cette même Epitre qu'ils veulent tant nous op- poser. Car il faudrait conclure, par la même raison, que, lors- que Jésus-Christ se dévoua à Dieu en entrant dans le monde , pour se mettre à la place des victimes qui ne lui ont pas plu (Epist. ad Hebr., 10, 5), il fit tort à l'action par laquelle il se dévoua sur la croix; que, lorsqu'il continue de paraître pour nous devant Dieu (9, 24), il affaiblit l'oblation par laquelle il a paru une "ais par l'immolation de lui-même (9, 26); et que, ne cessant d'intercéder pour nous (7, 25), il accuse d'insuffisance l'intercession qu'il a faite en mourant avec tant de larmes et de si grands cris (5, 7), etc. (1). »

(1) Concile de Trente, sess. 22, c. 4 . Bossuet, Exposit. de la foi, c. U-45.

PREMIER SIÈCLE.

79

Après deux ans de captivité, saint Paul parvint à se faire en- tendre, et à obtenir justice des accusations que les Juifs avaient intentées contre lui. Rendu à la liberté , en 63, l'infatigable Apôtre reprit aussitôt le cours de ses héroïques travaux. En quittant l'Italie, il se rendit en Espagne, selon saint Epiphane, Théodoret, saint Chrysostome , saint Jérôme, saint Grégoire le Grand, etc., et passa par les Gaules, où, d'après quelques tra- ditions, il aurait séjourné à Vienne et à Lyon, et consacré, dans ces deux villes, une église aux saints Machabées. La tradition, dit Darras, les Martyrologes, les monuments lapidaires, s'accordent pour attester aussi la réalité du voyage de saint Paul en Espagne

Le grand Apôtre reparut ensuite en Orient , il ordonna Tite , évèque de l'île de Crète, et Timolhée, évoque d'Ephèse.

Quelque temps après, il leur écrivit , très-probablement de la même contrée, de la Macédoine, et vers la même époque, l'an 64 ou 65 (1). D'autres remontent à l'an 58. Ces deux lettres, qui, à peu de chose près, ont le même objet, sont un abrégé complet des devoirs de l'épiscopat et des ordres inférieurs de la hiérarchie ecclésiastique. En faisant l'énuméralion des vertus qu'ils exigent, il recommande surtout la chasteté, la tempé- rance, le désintéressement, la modestie, la douceur, la pru- dence, la gravité et l'étude des saintes Lettres. L'Apôtre vi- sita les nombreuses Eglises qu'il avait fondées; et, après avoir de nouveau versé les Ilots de sa lumière et de sa chaleur sur toutes les contrées orientales, cet astre brillant dirigea, pour la seconde fois, sa course glorieuse du côté de la Ville éter- nelle.

Saint Pierre y rentra à la même époque revenant de Jérusa- lem, où, selon plusieurs auteurs, l'avaient attiré la persécution dont saint Jacques le Mineur fut la victime , et l'élection de saint Siméon , successeur de cet Apôtre.

Une tempête, plus terrible qu'aucune de celles que l'Eglise avait éprouvées jusque-là, grondait alors dans l'empire des Cé- sars. Le vieux monde, le monde païen, profondément miné par l'incrédulité et usé de débauche, furieux de se voir troublé dans

S. Paul

retourne en Orient.

S. Pierre et S. Paul rentrent à Rome.

(1) Le Bréviaire romain dit que saint Paul écrivit de LaodicéeM première Epître à Timothée.

80 cours d'histoire ecclésiastique.

ses voluptés, armait ses bourreaux, dressait ses bûchers, et rassemblait dans ses amphithéâtres les lions des déserts de l'A- frique , les tigres et les léopards de l'Asie et les ours des forets de la Germanie, aiin de les lancer contre les chrétiens. Aussi, selon saint Alhanase, l'Esprit-Saint, qui veille sur son œuvre, appela-t-il ensemble, sur le champ de bataille, le chef de l'E- glise, et le plus grand héros de l'Evangile, pour encourager &t soutenir l'armée chrétienne contre un ennemi aussi formidable. Selon Eusèbe, les deux Apôtres vinrent à Rome, pour y com- battre Simon le Magicien , qui était alors à l'apogée de sa puis- sance.

L'empereur Claude avait régné avec imbécillité, dit Bossuet, mais sans persécuter le Christianisme. Déshonoré par Messaline, sa femme , qu'il redemanda après l'avoir fait mourir, on le rema- ria avec Agrippine, fille du célèbre Germanicus. Cette femme ambitieuse joignait les mœurs d'une prostituée à l'inhumanité d'un tyran. Elle employa tout : bassesses, rapines, cruautés, pour élever sur le trône des Césars, au préjudice des enfants de Claude, Néron, son lils, qu'elle avait eu d'un autre mari. Comme on lui disait que ce jeune monstre la ferait périr un jour : « N'importe, répondit-elle, pourvu qu'il règne! » Néron Monté sur le trône à l'âge de dix-sept ans, Néron laissa bien-

SoTcaraciVre. tôt paraître les vices qui en ont fait l'horreur du genre humain.

ryr.r ,.q S'abandonnant à toute la corruption de son cœur, il oublia jus- qu'aux bienséances que les scélérats mêmes respectent dans leurs excès. Il passait les nuits dans les rues et dans les lieux de débauche, suivi d'une jeunesse effrénée avec laquelle il battait, tuait et volait. Il se fit comédien, et l'on vil un empereur monter et jouer sur le théâtre comme un bouffon. Lorsqu'il chantait en public, des gardes étaient apostés pour punir ceux qui n'applau- dissaient pas. La cruauté, chez lui, égalait la débauche; il commença par faire empoisonner Britannicus, fils de Claude et héritier légitime de l'empire. Il essaya de noyer sa mère; cette tentative parricide ne lui ayant pas réussi, il la fit poignarder; il eut même l'infâme courage de flétrir son cadavre, et le sénat ap- prouva lâchement cet exécrable attentat. Poppée , Oclavie , Stati- lia, ses épouses, Burrhus et Sénèque, ses précepteurs, furent aussi sacrifiés à sa rage. Ces meurtres furent suivis d'un si

PREMIER SIÈCLE.

grand nombre d'autres, qu'on ne le regarda plus que comme un monstre altéré de sang et atteint d'une véritable fureur homi- cide. Entendant un jour quelqu'un se servir de cette façon pro- verbiale de parler : « Que le monde brûle quand je serai mort ! » Il répliqua : « Et moi, je dis : Qu'il brûle et que je le voie! » Sans cesse entouré d'astrologues , de devins, de magiciens, il demandait aux arts occultes et à des influences diaboliques le se^ cret de grandir encore dans la corruption et la tyrannie. D'a- près ce portrait, on comprend que Tertullien ait dit: « Nous regardons comme un titre de gloire pour notre religion, que le premier de ses persécuteurs ait été Néron; car il suffit de le con- naître pour comprendre qu'il n'a pu condamner qu'une chose éminemment bonne. Une sentence de ce monstre est un brevet d'innocence (1). »

Voici de quelle manière il ouvrit la persécution. Un jour le feu prit aux quatre coins de Rome. L'embrasement dura une se- maine. Sur les quatorze quartiers de la ville , dix furent réduits en cendres. Ce spectacle lamentable fut une fête pour Néron; il monta sur une tour fort élevée pour en jouir à sun aise. Là, il se mit à déclamer, en habit de comédien, un poème qu'il avait composé sur l'embrasement de Troie. Tout le monde l'accusa d'être l'auteur de l'incendie (2). Pour délruï-e les soupçons for- pcrsécuti» mes contre lui, et donner le change à l'indignation publique, il chargea les chrétiens de cet horrible forfait. Selon Lactance, A"»6** le véritable motif qui engagea Néron à les persécuter, fut l'inté- rêt de ses dieux qu'il voyait abandonnés , et l'incendie de Rome ne fut qu'un prétexte (3). Quoi qu'il en soit, personne ne crut, dit Tacite, que les chrétiens fussent les auteurs de ce sastre; mais les païens, qui abhorraient le Christianisme, furent ravis de voir poursuivre ceux qui en faisaient profession. On les arrêta donc de toutes parts, et on les livra aux supplices. Aux tourments on ajouta l'insulte, et on fit de leur mort un divertis- sement public. On couvrit les uns de peaux de bêtes , afin que

(i) Apolog., c. 4.

(t) La vérité de cette accusation est attestée par Suétone, Dion Cassius, Tillemont, Grévier, Fleury , etc. 3 De morte persemt.

Cours i/histoire.

Pu miëra

8? cours d'histoire ecclésiastique.

les chiens, trompés par cette apparence, les missent en pièces. On enveloppa les autres de tuniques enduites de poix et de cire; on les attacha à des croix et à des poteaux, et on y mit le feu, afin qu'ils servissent de flambeaux pondant la nuit, in nocturni luminis usum, dit Tacite. Néron voulut que ses propres jardins, aujourd'hui ceux du Vatican, fussent le théâtre de ces spectacles affreux, et on l'y vit lui-môme, en habit de cocher, conduire des chars, présider aux luttes et aux agonies, à la lueur de ces torches homicides. Dieu seul, qui a couronné leur victoire, connaît le nombre incalculable de martyrs qui périrent dans ces épouvantables supplices. Tacite nous apprend qu'on fut étonné de trouver alors dans Rome une si grande mullilude de chré- tiens : Ingens multitude* (1).

Fin de Simon Après cette violente tempête, il y eut un moment de calme;

le Magicien. majg gajnt pjerre et gajnt pauj avant 0péré un grand nombre de

An 65. conversions, jusque dans le palais et même parmi les concu- bines de Néron, le tyran sentit sa fureur se réveiller. La fin tragique de Simon le Magicien vint y mettre le comble (2). Ce fils aîné de Satan, comme l'appelle un ancien historien, fixé à Rome depuis longtemps, avait séduit cette capitale par ses enchantements, et y jouissait alors d'une grande réputation. Saint Justin, saint Irénée, Tertullien, Eusèbe, saint Cyrille de Jérusalem, saint Augustin, assurent même qu'il y reçut les honneurs divins, et qu'on lui érigea une statue avec cette ins- cription : « A Simon, dieu saint! » L'imposteur devait ces hommages et cette vogue à ses nombreux prestiges et à la folie de Néron , qui était passionné pour la magie et qui n'épargnait

(4) Annal. 5.

(2) Il y avait , entre les auteurs, diversité de sentiments sur la date de la chute de Simon. Les Constitutions apostoliques et Suétone la mettaient en l'an 55, dix ans plus tôt. La découverte des Philosophu- mena vient confirmer ce sentiment. Ayant survécu à sa chute, Simon, dans une autre rencontre, voulut imiter la résurrection du Sauveur, en présence encore de saint Pierre qui l'avait confondu. Il ordonna à ses disciples de creuser une fosse et de l'envelopper d'un suaire. On le déposa dans cette tombe, dit l'auteur des Philosophumena ; mais il y est resté jusqu'à ce jour, car Simon n'était pas le Christ. Telle fut réellement la fin de l'imposteur Simon , et le dernier triomphe de saint Pierre contre ce fameux magicien. (Darras, t. VI, p. 196-202.)

PREMIER SIÈCLE. 83

rien pour en connaître les secrets. Ce qui piquait le plus la curiosité du tyran, c'était de voir un homme voler dans les airs. Déjà plusieurs enthousiastes avaient fait en sa présence l'essai de cet art périlleux, mais toujours avec une issue funeste. Simon, alors au plus haut point de sa renommée, promit à Néron que, non-seulement il s'élèverait dans les airs, mais qu'il pénétrerait dans les cieux, et y occuperait enfin le trône qui lui était réservé. Il prétendait imiter ainsi l'Ascension de Jésus- Christ.

Saint Pierre et saint Paul , instruits de cette audacieuse im- piété, et sentant combien il importait de la confondre publique- ment, exhortèrent les fidèles à adresser au ciel de ferventes prières. Ils ordonnèrent un jeûne général pour le samedi qui précéda cette lutte diabolique. Au moment du spectacle, les deux Apôtres se mirent à genoux en invoquant le nom de Jésus, pour enchaîner la puissance du démon. Ce ne fut pas en vain. La prière des saints , dit un auteur ancien , atteignit , comme une flèche, le magicien dans les airs, et le précipita sur le pavé. Il tomba aux pieds de Néron, et, selon Suétone, le balcon était l'empereur, fut teint de son sang. Simon avait une cuisse fracturée et les doigts des pieds désarticulés. Ce fait est attesté par saint Justin, Dion, Chrysostome, Suétone, Arnobe, saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise, saint Augustin, saint Isidore de Péluse , Théodoret, et plusieurs autres docteurs de l'Eglise grecque et latine.

Néron, furieux et confondu, ralluma donc le feu de la persé- cution. L'incendie se propagea rapidement; de violents édits le portèrent dans les provinces , et le carnage des chrétiens devint juridique dans toute l'étendue de l'empire.

Saint Pierre et saint Paul furent jetés dans la prison Marner- Emprisonn»- tine, qui était au pied du Capitole et s'étendait sous terre. Ils y convertirent deux de leurs gardes et quarante-sept prisonniers. On assure que les fidèles vinrent à bout de procurer aux deux Apôtres les moyens de s'évader, et que saint Pierre, cédant à leurs instances, s'échappa en effet et sortit de Rome pendant la nuit. Saint Ambroise dit que le départ de saint Pierre eut lieu aussitôt après la chute de Simon le Magicien, et avant l'arrestation de l'Apôtre. Quoi qu'il en soit, le chef de l'E-

mcnt

de S. Pierre

et de

S. Paul.

84

cours d'histoire ECCLÉSIASTIQUE.

Seconde

Epître

de S. Pierre.

de S. Paul

Timolhéc.

glise, étant arrivé près de la porte Capenne . à un endroit consacré aujourd'hui par un modeste monument, y rencontra Jésus-Christ. « allez-vous, Seigneur? lui dil-il. Je viens à Rome, lui répondit le Sauveur, pour y être crucifié de nou- veau. » Saint Pierre comprit le vrai sens de la parole de son divin Maître, et rentra dans la ville.

Ne pouvant plus douter de sa mort prochaine, il ne se borna point à exercer les derniers actes de sa sollicitude pastorale à l'égard des chrétiens de Rome, il voulut encore rappeler ses instructions aux Eglises du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce et de la Rilhynie, ou plutôt à tous les fidèles en général, en leur écrivant sa seconde Epître. Ses avis embrassent tous les siècles, ce sont les derniers adieux d'un père à ses enfants , d'un pas- teur à ses ouailles. Il s'efforce de les confirmer dans la doctrine de Jésus-Christ, de les prémunir contre les hérésies qui com- mençaient à se répandre , et qui devaient bientôt se montrer avec d'autant plus d'audace, que leurs auteurs n'auraient plus à craindre la présence et l'autorité des Apôtres. Il leur recom- mande de ne point oublier le témoignage et la doctrine des Pro- phètes, des Apôtres et particulièrement de saint Paul, en obser- vant toutefois « que ses Epîtres renferment des choses difficiles à entendre , et dont les ignorants abusent pour leur perte , comme des autres Ecritures. » Il dit formellement « que l'on ne doit pas suivre son sens privé dans l'interprétation de la Bible. » Ainsi se trouve condamné d'avance, par le chef des Apôtres , le principe fondamental du Protestantisme : l'examen privé. Cette seconde Epître de saint Pierre est d'un style dilférent de la première, parce que, selon les occasions, le vicaire de Jésus-Christ se servait de divers interprètes.

Saint Paul écrivit aussi alors , dans le cours son deuxième emprisonnement , selon un grand nombre d'inter- prètes, et quelques mois avant son martyre, sa seconde Epître à Tiinothée, la dernière très-probablement qui soit sortie de sa plume. L'Apôtre recommande à son disciple de conserver reli- gieusement le dépôt de la saine doctrine; puis il ajoute : « Tout ce que vous avez appris de moi devant plusieurs témoins, ayez ç.uiu de le confier à des hommes lidôles qui soient eux-mêmes canables d'en instruire les autres. » * Par cela, dit Galvin

PREMIER SIECLE.

85

lui-même, est repoussée l'arrogance de ces insensés qui se vantent de n'avoir pas besoin de docteurs , parce que la lecture de l'Ecriture est sufiisante. Qui ne tiendra compte de l'aide de vive voix, et se contentera de l'Ecriture muette, sentira quel mal c'est de mépriser le moyen ordonné de Dieu et de Jésus- (ilirist pour apprendre (1). » Voilà donc, d'après saint Paul, et même de l'aveu des hérétiques, qui sont ici forcés de rendre hommage à l'enseignement catholique, voilà l'autorité de la tradition aussi fortement établie que celle de l'Ecriture.

A la lin de son Epilre, saint Paul engage Timothée à venir le trouver avant l'hiver, et il le prie « de lui apporter le man- teau et les livres qu'il avait laissés à Troade, chez Carpus, et principalement ses parchemins. » On voit, par cette recom- mandation, la pauvreté de saint Paul, qui se faisait apporter un manteau de si loin. On voit aussi que le grand Apôtre, instruit par Jésus-Christ lui-même , divinement assisté , et préoccupé de la sollicitude de toutes les Eglises, ne laissait pas pour cela d'étudier : il lisait, écrivait et prenait des notes, que, jusque dans sa dernière prison, à la veille de sa mort, il voulait qu'on lui apportât, pour les lire et les compléter. Quelle leçon! Et, après un tel exemple, s'écrie un savant prélat, qui se croira affranchi de la loi de l'étude, et de la loi , non moins im- portante peut-être , de confier ses réflexions au papier, lorsqu'on veut profiter de ses lectures'?

Il linii sa lettre par quelques détails sur son état présent et sur plusieurs de ses disciples. Il dit que Dénias l'avait aban- donné , séduit par l'amour du siècle (2). Crescent était en Galatie, ce que plusieurs Pères entendent de la Gaule (3); car

I, i'iorimond. iJiscuss. amicale, tom. I.

Ij Comme saint Paul ne parle pas ici de saint Pierre, quelques protestants en ont conclu que ce dernier n'était pas alors à Rome. Mais cette induction purement négative ne peut pas prévaloir contre la voix des faits et le témoignage positif de toute l'histoire. Saint Paul a pu être mis en prison avant saint Pierre, en être par conséquent séparé, et n'avoir pas de ses nouvelles. Peut-être aussi n'y avait-il aucun rapport particulier entre saint Pierre et Timothée. De plus, on sait que les Apôtres parlaient peu d'eux-mêmes et les uns des autres , etc.

(3) Ce sentiment a pour lui, parmi les anciens : Eusèbe, saint

Fondation

des

premières

églises

de» Gaules .

Vers l'an 65,

86 cours d'histoirk ecclésiastique.

on lui donnait ce nom en grec, et l'on compte en effet pour premier évèque de Vienne, saint Grescent, que l'on croit être le disciple de saint Paul. Au reste, quand même on enten- drait ici la Galatie de l'Asie Mineure, ce second sentiment ne serait pas incompatible avec la fondation de l'Eglise de Vienne par saint Grescent. Trophime avait été retenu à Milet par une maladie; mais il est probable qu'il vint rejoindre saint Paul. Une antique et respectable tradition, adoptée par saint Adon de Vienne , par le savant de Marca , Bossuet , Longueval , Rohrbacher, etc., porte qu'il fut envoyé par saint Pierre dans les Gaules , il fonda la célèbre Eglise d'Arles. Les évoques suffragants de cette métropole, au nombre de dix-neuf, écri- vant, en 450, au pape saint Léon, lui dirent : « Toutes les contrées de la Gaule savent que, parmi les cités gauloises, celle d'Arles , la première , mérita d'avoir pour évèque Tro- phime, envoyé du bienheureux Apôtre Pierre De ce ruis- seau de la foi descendu vers nous du courant du siège aposto- lique, les autres localités ont obtenu des évèques. » Les prélats veulent dire ici, non pas qu'Arles seule ait converti les Gaules, mais qu'elle coopéra grandement à cette conversion. On attribue, dans le même temps, la fondation de l'Eglise de Nar- bonne à SergiusPaulus, ce proconsul que le grand Apôtre avait converti dans l'Ile de Chypre (1). Une autre tradition, fon- dée sur un manuscrit très-ancien de l'Eglise d'Arles , et sou- tenue par Raban-Maur, Rohrbacher, etc., joint à Trophime d'Arles et à Paul de Narbonne cinq autres missionnaires envoyés en Gaule par saint Pierre : Martial de Limoges (2), Austremoine

Epiphane , Théodoret , Sophrone , la Chronique d'Alexandrie , le Martyrologe romain et presque tous les autres; et, parmi les mo- dernes : Tillemont, Fleury , Longueval, Bérault-Bercastel, Receveur, Rohrbacher, Darras, etc. « Il est difficile, dit Tillemont, de douter que saint Grescent ait prêché dans les Gaules. »

(1) Trad. de l'Egl.. tom. II. Rohrbach., t. IV, p. 477; t. V, p. 37; t. XXIX. Darras, L V, p. 543.

(2) Selon une tradition, sous le nom latin de Martial, il faut voir Céphas, un des soixante-douze disciples, différent de saint Pierre, et celui-là môme que saint Paul aurait repris à Antioche, d'après plusieurs auteurs. (Euseb., Hist. eccl., 1, 42. Monde, S juin 4865.)

PREMIER SIÈCLE. 87

de Clermont, Gatien de Tours, Saturnin de Toulouse et Valère de Trêves. Une troisième tradition , qui a pour elle le Bré- viaire romain , saint Fortunat , évèque de Poitiers , plusieurs auteurs grecs, Baronius, Noël Alexandre, le savant de Marca, le célèbre Mabillon et le docte Antoine Pagi, porte que le pape saint Clément envoya aussi en Gaule Denys l'Aréopagite, qui devint le premier évèque de Paris. Tillemont, Longueval, le P.' Sirmond, Denys de Sainte-Marthe, ont soutenu la négative. Saint Epiphane dit que saint Luc prêcha enDalmatie, en Italie, mais principalement en Gaule. Saint Isidore de Séville compte aussi l'Apôtre saint Philippe parmi ceux qui prêchèrent l'Evangile dans cette contrée. Enfin, une dernière tradition porte que saint Lazare, sainte Marthe et sainte Marie-Magde- leine, avec saint Maximin , un des soixante-douze disciples, et qui, selon plusieurs, aurait été l'aveugle-né de l'Evangile, ont été les premiers Apôtres de la Provence ; que saint Lazare fut le premier évèque de Marseille , et saint Maximin le premier évèque d'Aix. Noël Alexandre, le Martyrologe romain, 17 dé- cembre, le Bréviaire romain, 29 juillet, fête de sainte Marthe, etc., proclament la vérité de ces faits.

Vers la fin du dix-septième siècle, plusieurs de ces traditions furent rejetées, surtout par des critiques jansénistes. La mission apostolique des sept premiers évèques fut retardée de plus de deux siècles, et renvoyée au temps du pape Fabien, en 245. Il en fut de même de celle de saint Denys, qui ne dut plus être l'Aréopagite. Quant à l'arrivée de saint Lazare et de ses deux sœurs en Provence, elle fut déclarée non avenue. Mais, un savant Sulpicien a démontré, il y a peu de temps, par un ouvrage très-érudit et complet : Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Magdeleine en Provence, etc., que la plupart de ces traditions sont fort respectables et suffisamment prouvées (1). M. l'abbé Darras et M. l'abbé Davin viennent

(1) Monuments inédits, etc., par M. l'abbé Faillon. Rohrb., tom. IV, 5, 29. Lettre de l'évèq. de Marseille à l'évéq. d'Orléans, 4846. Sirmond, Concil. gall., an 450. S. Denys l'Aréopagite, premier évèque de Paris, par M. Darras, Hist. génér. de l'église, etc. t. V, p. 515-600. Panégyrique de S. Denys, par M. Davin. Monde, 26 février 4864, 2 juin 4865, 27 octobre 1866.

88 cours d'histoire ecclésiastique.

à leur lour, pat- deux savants et consciencieux écrits, de prou- ver qu'il faut désormais s'incliner avec respect devant la croyance de nos pères qui rattachaient la mission de saint Denys aux temps apostoliques et au pontifical de saint Clément; et qu'il n'est plus permis de se moquer de la pieuse tradition, autorisée par d'anciens témoignages , qui proclame l'identité du premier èvèque de Paris et de saint Denys l'Aréopagite converti par saint Paul. D'ailleurs, que l'Eglise de Paris ait eu pour son i'ondateur un saint évèque, martyr, du nom de saint Denys, c'est un fait sur lequel personne n'élève aucun doute. Martyre Cependant, après huit ou neuf mois de prison, saint Pierre

rtée*™8 et sa'nt' ^au^ furcnt condamnés ensemble et martyrisés le même 5. Paul. jour, 29 juin de l'an 66 ou 67. Saint Paul , en qualité de ci- iCoêu67. l0Yen romain , eut la lète tranchée. On rapporte qu'en allant au supplice il convertit trois soldats, qui souffrirent le martyre peu de temps après. Il fut exécuté à trois milles de Rome, au lieu appelé les Eaux Salviennes, Une dame romaine , nommée Lucine, l'ensevelit dans sa terre, sur le chemin d'Ostie, l'on a bàli depuis une magnifique église appelée Saint-Paul- hors-4es-murs. Saint Paul avait 68 ans. Saint Pierre fut es, . il au delà du Tibre, dans le quartier habité aujourd'hui par tes Juifs, et fut crucifié sur le mont Janicule. L'humble Apôtre accepta comme une faveur d'être crucifié la lète en bas, se jugeant indigne de mourir comme son divin Maître. Son corps fut enseveli le long de la voie Aurélia, près du temple d'Apollon , au lieu même s'élèvent aujourd'hui le palais du Vatican et l'église de Saint-Pierre. Le pontificat de saint Pierre avait duré trente-trois ans et quelques mois, dont huit environ écoulés à Jérusalem puis à Anlioche, et vingt-cinq, deux mois et sept jours, passés à Rome. Telle est la durée qu'on assi- gne ordinairement au pontificat du Prince des Apôtres , d'après la chronique d'Eusèbe généralement admise. Aucun de ses suc- cesseurs n'a siégé aussi longtemps que lui.

Les chrétiens élevèrent à saint Pierre et à saint Paul , sur le lieu de leur sépulture, des monuments dont il est question dès le second siècle , comme nous l'avons déjà remarqué (1).

(1) Gaïus apud Euseb., liv.S, c. 25.

PREMIER SIÈCLB. 89

Les fidèles avaient eu soin aussi de faire tirer les portraits des deux saints Apôtres, et, au temps de l'historien Eusèbe , on les possédait encore. On conserve , à Florence, une lampe de bronze, eu l'orme de barque, découverte à Rome dans le cime- tière de Sainle-Priscille , et que l'archéologie l'ait remonter aux temps apostoliques. On y voit deux personnages, saint Pierre assis au timon comme pilote, et saint Paul debout à la proue, prêchant l'Evangile. Ainsi, la place que les deux Apôtres occupent, dans ce monument primitif, se trouve tout à fait con- forme aux idées et aux croyances catholiques (1).

Peu de temps avant leur martyre, saint Pierre et saint Paul Eut avaient annoncé aux chrétiens la prochaine exécution des me- de ''^ )1: ,;l haces que le Seigneur avait faites contre Jérusalem et la nation mBm J*iw. juive. Ces prophéties ne tardèrent pas à s'accomplir. La colère divine poursuivait déjà de toutes parts celte race déicide. On la détestait partout, et l'histoire parle de plus de cent cin- quante mille Juifs, qui, à cette époque, furent immolés, sous différents prétextes, à la haine générale, chez les Parthes , à Labylone, à Scythopolis, etc. La Judée était remplie de bri- gands appelés sicaires ou assassins, qui avaient trouvé un appui dans Félix. Ce magistrat haïssait le grand-prètre Jona- ihas, dont les conseils avaient contribué à le faire nommer gouverneur, et qui se croyait par même en droit de l'avertir de ses fautes. Pour se délivrer de ses remontrances importunes, Félix résolut de le faire périr, et il eut recours, pour l'exécution de ce crime, aux poignards des sicaires. Ces assassins vinrent à Jérusalem sous prétexte de religion, et, trouvant l'occasion de s'approcher de Jonalhas, ils le massacrèrent. Personne n'était en sûreté dans la campagne, dans la ville, ni même dans le temple. Joignant l'incendie au meurtre, les sicaires allèrent jusqu'à brûler des villages entiers, après les avoir ravagés. La faction dite des zélateurs rivalisait de cruauté avec eux. Cette secte audacieuse avait eu pour chef un certain Judas de Galilée, qui, secondé par un pharisien nommé Sadoc, avait formé un parti considérable. Ils persuadaient au peuple qu'il ne fallait reconnaître d'autre maître que Dieu.: que le joug d'une

(!) Ami dclaReli'jion, 29 novembre 1838.

90 cours d'histoire ecclésiastique.

domination étrangère était une honte pour les Juifs, et qu'ils devaient tout entreprendre et tout souffrir pour défendre leur liberté. Ils cherchèrent à se rendre maîtres du pays, atta- quèrent plusieurs villes, et remplirent, comme les sicaires, la Judée de ruines et de sang. Il s'était encore formé d'autres factions ayant à leur tète les principaux citoyens et toujours prêtes à en venir aux mains. Il paraissait aussi une foule d'imposteurs qui, se disant inspirés, entraînaient la multitude à leur suite ; ils lui promettaient de la délivrer de ses maux , et ils ne faisaient que les aggraver. Les pharisiens; qui avaient pour eux la faveur populaire, et les saducéens, qui dominaient parmi les grands, se disputaient les honneurs et le pouvoir, et dénaturaient la religion pour la faire servir à leurs intérêts. Le sacerdoce , devenu la proie des ambitieux , avait perdu sa dignité, et faisait sentir de plus en plus, par sa décadence vi- sible , la nécessité d'un sacerdoce nouveau. Tout , enfin , con- courait à hâter la catastrophe qui devait consommer la ruine de la nation déicide. présages Aussi, des présages et des signes menaçants annonçaient-ils

'effrayants* l'aPProcne des derniers effets de la vengeance divine. Aux fêtes à Jérusalem, de Pâques de l'an 65, une lumière aussi éclatante que celle du jour environna, pendant la nuit, l'autel et le temple. La porte orientale, qui était d'airain, et si pesante que vingt per- sonnes pouvaient à peine l'ébranler, s'ouvrit d'elle-même, mal- gré les verrous et les barres de fer qui la retenaient. Le jour de la Pentecôte, un bruit affreux se fit entendre dans le sanc- tuaire, et une voix lugubre prononça distinctement ces paroles : c Sortons d'ici! sortons d'ici 1 » Les saints anges, protecteurs du temple, déclaraient ainsi hautement qu'ils l'abandonnaient. Il y paraissait sans cesse de nouveaux et effrayants prodiges, de sorte qu'un fameux rabbin s'écria un jour : « 0 temple! ô temple! qu'est-ce donc qui t'émeut? et pourquoi te fais-tu peur à toi-même (1)? »

Enfin, quatre ans avant la guerre qui détruisit Jérusalem, un présage plus effrayant encore que les autres éclata aux yeux de

(4 ) Talmud. de Babyl. Bossuet , Hist . univ. Tacite , liv. 5 et 43. Josèphe, liv. 7.

PREMIER SIECLE. 91

toute la nation. Un pauvre paysan, dit Bossuet, d'après l'histo- rien Josèphe, étant venu à la fête des Tabernacles, commença tout à coup à crier : « Malheur à la ville t malheur au temple! voix de l'orient, voix de l'occident, voix des quatre vents; mal- heur au temple 1 malheur à Jérusalem! » Depuis ce temps, ni jour, ni nuit il ne cessa de crier : t Malheur, malheur à Jérusa- lem! » Il redoublait ses cris aux jours de fête. Aucune autre pa- role ne sortit jamais de sa bouche : ceux qui le plaignaient , ceux qui le maudissaient, ceux qui le nourrissaient, n'enten- daient jamais que cette terrible menace : « Malheur à Jérusa- lem! » Il fut pris, interrogé, fouetté jusqu'aux os par l'ordre du gouverneur. A chaque demande , à chaque coup , il répondait sans jamais se plaindre : « Malheur à Jérusalem! » Il continua pendant sept ans à crier de celte sorte, sans se relâcher et sans que sa voix s'affaiblit. Au temps du dernier siège de Jérusalem, il se renferma dans la ville, tournant infatigablement autour des murailles, et criant de toute sa force : « Malheur au temple! malheur à la ville , malheur à tout le peuple A la fin il ajouta : « Malheur à moi-même ! » et il fut étendu raide mort par une pierre lancée par une baliste romaine. Ce prophète des malheurs de Jérusalem s'appelait Jésus. « Il semblait, con- tinue Bossuet, que le nom de Jésus, nom de salut et de paix, devait tourner, aux Juifs qui le méprisaient en la personne de notre Sauveur, à un funeste présage, et que ces ingrats ayant rejeté un Jésus qui leur annonçait la grâce , la miséricorde et la vie, Dieu leur envoyait un autre Jésus, qui n'avait à leur an- noncer que des maux irrémédiables , et l'inévitable décret de leur ruine prochaine. »

La guerre fatale annoncée par les prophéties commença en Guew 66. Aigris et poussés à bout par la haine générale, et par les des Romam« concussions de leurs gouverneurs, tous plus avares, plus impi- les juifs, toyables et plus tyrans les uns que les autres, les Juifs se mi- ^^^o rent en pleine révolte contre l'empire. Ils eurent d'abord quel- ques succès, et Grent reculer devant eux les légions romaines, commandées par le gouverneur de Syrie, Geslius Gallus. Mais Néron ayant remplacé ce commandant par Vespasien, les affaires changèrent de face. Tout plia devant le nouveau capi- taine. En quarante jours, la ville de Jotapat fut prise et iucen-

92

LS I) HISTolUK FXJCLKSIASTIQUB.

Mon de Néron.

Vespasien e»pcreur.

Prétendus

miracles

•le

Vcs.asien.

(liée malgré sa garnison de cent mille hommes. Josèphe, qui la commandait, se rendit à Vespasien, et le vainqueur se dispusa à serrer Jérusalem. Alors les chrétiens se retirèrent dans la petite ville de Pella, située dans les monlagnes, conformément à ce conseil du Sauveur : « Lorsque vous verrez Jérusalem en- vironnée par les soldats, fuyez sur les montagnes. »

Les choses en étaient là, quand les Romains secouèrent le joug de Néron, qui avait poussé à bout la patience publique. Jules Vindex, commandant des Gaules, écrivit à Galba, gouver- neur de l'Espagne, d'avoir pitié du genre humain, dont leur détestable maître était le fléau. Galba se fil proclamer empereur, et le sénat, déclarant Néron ennemi public, le condamna à être précipité de la Roche Tarpéïenne. A celte nouvelle , Néron se sauva vers la maison d'un de ses affranchis, il se cacha dans les roseaux d'un marais. Averti qu'on le cherchait, il fit creuser sa fosse et dit en pleurant : « Faut-il donc qu'un si habile musi- cien périsse! » Qualis artifex pereo! Enfin, entendant le pas des chevaux, il se mit un poignard sur la gorge, et pria ins- tamment qu'on lui donnât la mort. Personne ne voulut d'a- bord lui rendre ce coupable service. Le poignard criminel et vengeur, du reste, n'allaita nulle main mieux qu'à la sienne; « car, pour certains monstres, dit M. de Maistre, il convient \ue la justice même qui les châtie soit infâme. » A la fin, son secrétaire poussa l'arme meurtrière, et la terre fut délivrée d'un scélérat qui n'eut peut-être pas son égal.

Galba, Othon, Vilellius, successeurs de Néron, ne firent que passer sur le trône des Césars, idoles et victimes de la démago- gie militaire ou civile. Vespasien, élu par son armée et confirmé par le sénat, prit leur place; il laissa à Titus son fils le soin de la guerre contre les Juifs, et partit pour Rome.

Après Galigula, Claude et Néron, Vespasien était un remar- quable empereur. D'une naissance obscure, il avait conquis tous ses grades sans autre recommandation que sa valeur person- nelle. Ses qualités consolèrent l'empire et furent grandement célébrées. Les flatteurs ne manquèrent pas de profiler d'une si belle occasion; aussi les vit-on accourir de toutes parts et se presser autour du nouvel Auguste. A Alexandrie, ils poussè- rent l'adulation jusqu'à le transformer en thaumaturge. Un

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homme qu'on disait aveugle , et un autre qui avait la main dis- loquée, selon Tacite, ou une jambe affaiblie, selon Suétone, vinrent le trouver et assurèrent que le dieu Sérapis les ren- voyait à lui pour obtenir leur guérison. Vespasien en rit d'a- bord; mais, pressé par ses courtisans, il finit par se prêtera leurs manœuvres , et l'on publia qu'il avait rendu la santé aux deux malades. Tacite dit que les médecins consultés auparavant avaient répondu que les yeux de l'aveugle n'étaient pas incura- bles, et qu'un mouvement violent donné à la main du manchot pouvait la rétablir. Tout porte môme à croire , dit Bergier, que ces prétendus estropiés étaient deux fourbes, apostés par les courtisans du nouveau César, pour feindre successivement leur maladie et leur guérison.

En tète de ces indignes flatteurs était Apollonius de Tyane. Son adresse merveilleuse, ses artifices, et même, au besoin, son commerce avec les démons, auraient pu concourir aux pré- tendus miracles de Vespasien. La flatterie ne s'arrêta pas : comme, par une fausse interprétation des prophéties, l'univers était alors dans la persuasion qu'un conquérant fameux devait sortir de la Palestine (1), les courtisans en profitèrent pour faire de leur maître le Messie promis au monde. Josèphe lui-même, quoique Juif et sacrificateur, ne rougit point de se mêler à cette sacrilège adulation. « Aveugle, s'écrie ici Bossuet, qui, pour autoriser sa flatterie, transportait aux étrangers les espérances de Jacob et de Juda, et qui cherchait en Vespasien le fils d'A- braham et de David (2). » Ce dernier trait met le comble à l'imposture , et fait voir que les courtisans de l'empereur étaient capables de tout pour rehausser leur idole.

Cependant Titus vint mettre le siège devant Jérusalem au printemps de l'an 70, peu de jours avant la fôle de Pâques. Cette circonstance avait réuni dans cette ville une multitude innom- brable, qui ne fil qu'augmenter le désordre et consommer les vivres plus promptement. Les séditieux y étaient déjà accou- rus de tous côtés, dès le commencement de la guerre , et à me-

(1) Percrebuerat oriente toto vêtus et constant; opiniû esse in fatis, ut eo tempore Jttdeâ profecti rerum potirentur . (Suéton.)

(2) tli*t. univ., 2" partie.

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sure que le reste du pays était occupé par les Bomains. Un Dommé Simon-Bargioras ou fils de Giora y avait amené une bande de trente mille sicaires. Jean de Giscale s'y était aussi renfermé à la tète de la faction des zélateurs et de vingt mille barbares de l'Idumée, toujours prêts à se battre et à piller.

Rassemblés dans la même enceinte et divisés entre eux, ces brigands remplirent Jérusalem de désolation, et auraient suffi seuls pour l'anéantir. En plein jour, ils se livraient à toutes sortes de violences, et ne respectaient ni les propriétés ni la vie des citoyens. Une fois, on trouva huit mille cinq cents cadavres étendus autour du temple, et une autre fois douze mille, qui restèrent plusieurs jours sans sépulture.

Vainement la clémence du général romain tenta de ramener les Juifs à la paix; ils rejetèrent obstinément toutes les proposi- tions qu'il leur fit porter par Josèphe. Titus alors ordonna de serrer la ville de plus près et coupa les vivres. La famine devint horrible et fit commettre les attentats les plus atroces. On s'ar- rachait la nourriture, on dévorait les choses les plus infectes. Les séditieux affamés eux-mêmes recouraient à tous les moyens pour se procurer quelque aliment. L'aspect de la figure, de l'embonpoint ou de la démarche, une porte fermée, suffisaient pour éveiller leurs soupçons et exposaient à toute leur fureur. Une femme nommée Marie , pressée de la faim , et réduite au désespoir, prit son enfant encore à la mamelle , l'égorgea , le fit rôtir, en mangea la moitié, et cacha le reste de ce repas parri- cide. Attirés par l'odeur, les factieux entrent dans sa maison, et, l'épée sur la gorge, lui demandent ce qu'elle a caché. Elle leur montra ce qui restait de son enfant. Les voyant saisis d'horreur et immobiles : « Vous pouvez bien en manger après moi , leur dit-elle, c'est mon enfant; c'est moi qui l'ai tué; vous n'êtes pas plus délicats qu'une femme ni plus tendres qu'une mère. » Ils quittèrent ce lieu en frissonnant.

Beaucoup de Juifs voulurent alors sortir de la ville; mais Titus les fit crucifier sans pitié, afin d'épouvanter les rebelles. Il en périt par ce supplice jusqu'à cinq cents par jour, en sorte que l'espace et les croix manquèrent : « Terrible punition de la croix du Calvaire, » dit M. de Champagny. Ainsi, cette na- tion déicide éprouva-t-elle un châtiment analogue au forfait qui

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était la première cause de ses malheurs; et la soldatesque ido- lâtre , en crucifiant ces misérables, leur rendit tous les outrages dont ils avaient eux-mêmes abreuvé le Fils de Dieu au Golgotha.

Dévorés par la faim et refoulés par les assaillants, les Juifs furent encore attaqués par la peste. Alors Jérusalem présenta en quelque sorte l'image de l'enfer. On voyait par toute la ville une foule de gens enflés et défigurés , se traînant comme des fan- tômes, puis tombant tout à coup. Les places publiques, les rues et les maisons regorgeaient de morts. On entreprit d'abord de les enterrer, et, par une seule porte, il sortit, dans l'espace de deux mois, cent quinze mille cadavres. Le nombre total s'é- leva , dit-on, à plus de six cent mille. Bientôt on n'eut ni le cou- rage ni la force d'inhumer, et l'infection fut telle, que le vent la porta jusqu'au camp des Romains.

Enfin , après des combats furieux , les assiégeants s'emparè- rent de la forteresse Antonia qui protégeait le temple. Le temple lui-même fut attaqué. Titus ordonna de le conserver à tout prix; mais un soldat romain , comme poussé par une ins- piration divine, dit Josèphe, saisit un tison, et se faisant sou- lever par ses camarades , il le jeta dans un des appartements qui tenaient à cet édifice. Le feu prit aussitôt et consuma tout, malgré les efforts de Titus pour l'arrêter. Ainsi fut accomplie la prédiction du Sauveur, sur la ruine du temple, que complétera plus lard Julien l'Apostat. Le reste de la ville fut emporté, et les Romains y mirent tout à feu et à sang. Titus ne pouvait contenir ses soldats; et quand les nations voisines vinrent lui offrir des couronnes et le féliciter de sa victoire , il publia hau- tement qu'elle n'était pas son ouvrage , et qu'il n'avait élé que l'instrument de la vengeance divine. Il fit raser ce qui avait échappé aux flammes. Les deux chefs des factieux, Jean de Giscale et Simon de Giora, furent pris et enchaînés à son char de triomphe. Onze cent mille Juifs périrent dans ce siège; cent mille furent vendus comme esclaves, et à peine daignait-on les acheter. On passa ensuite la charrue sur l'emplacement de la ville et du temple. Ainsi encore s'accomplit, à la lettre, la prédiction que Jésus-Christ avait faite contre la cité déicide : « Jérusalem sera foulée aux pieds par les nations; ses enfants seront passés au fil de l'épée; ils seront traînés en captivité par

Elat peuple juif

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tout l'univers , et cela jusqu'à la consommation des siècles (1). » Alors le peuple juif commença sa vie errante et vagabonde à travers les siècles et les nations , voyageant , malgré lui , à côté la mine ^e l'Eglise nouvelle, et lui servant de témoin : témoin qui en

de Jérusalem. ° ' ^

Témoignage proclame la vérité, car ses livres attestent la divinité de Jésus- kYBâtor Christ; témoin non suspect , car il hait l'Eglise et l'abhorre; témoin universel, car il est par toute la terre; témoin perpétuel, car les tempêtes politiques qui dévorent tous les autres peuples, ne le font pas périr. Et pendant que ce témoin providentiel atteste la vérité de l'Eglise , « tout a été consommé pour lui. Un sceau a été mis sur son cœur, sceau qui ne sera brisé qu'à la fin des siècles. Son existence tout entière n'avait été qu'un long prodige; un nouveau miracle commence, miracle toujours le même, miracle universel, perpétuel, et qui manifestera jus- qu'aux derniers jours l'inexorable justice et la sainteté du Dieu que ce peuple osa renier. Sans principe de vie apparent, il vivra! rien ne pourra le détruire, ni la captivité, ni le glaive, ni le temps même. Isolé au milieu des nations qui le repous- sent, nulle part il ne trouve un lieu de repos. Une force invin- cible le presse, l'agite, et ne lui permet pas de se fixer. Il porte en ses mains un flambeau qui éclaire le monde entier, et lui-même est dans les ténèbres. Il attend ce qui est venu; il lit les Prophètes et ne les comprend pas. Sa sentence, écrite à chaque page des livres qu'il a ordre de garder, fait sa joie. Toi que ces grand? coupables dont nous parle l'antiquité , il a perdu l'intelligence; le crime a troublé sa raison. Partout opprimé, il est partout. Au mépris, à l'outrage, il oppose une stupide in- sensibilité. Rien ne le blesse, rien ne l'étonné, il se sent fait pour le châtiment; la souffrance et l'ignominie sont devenues sa nature. Sous l'opprobre qui l'écrase , de temps en temps il sou- lève la tète, il se retourne vers l'Orient, verse quelques pleurs , non de repentir, mais d'obstination; puis il retombe: et courbé, ce semble, par le poids de son âme , il poursuit en silence, sur une terre il sera toujours étranger, sa course pénible et va- gabonde. Jusqu'ici tous les peuples l'ont vu passer, tous ont été saisis d'horreur à son aspect; il était marqué d'un signe plus ter-

(4) S. Luc, 21, 24

PREMIER. SIECLE.

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rible que celui de Gain; sur son front une main de fer avait écrit : DÉICIDE (1)! »

La ruine de Jérusalem délivra l'Eglise de Jésus-Christ d'une foule de sectes ennemies, nourries dans le sein de l'antique Synagogue, telles que celles des Pharisiens, des Saducéens, des Scribes, des Hérodiens, des Essôniens,